L’indépendantisme catalan se prépare pour affronter la sentence du procès judiciaire en ordre dispersé. Le mouvement tente de retrouver son unité perdue pour faire face à un moment clé de son histoire.
Le ministère public espagnol réclame plus de 200 ans de prison repartis entre les douze responsables politiques indépendantistes inculpés. L’ancien vice-président Oriol Junqueras risque 25 ans de prison; les activistes Jordi Sanchez et Jordi Cuixart ainsi que l’ancienne présidente du parlement Carme Forcadell 17 ans; les ex-ministres du gouvernement Puigdemont 16 ans.
Pour affronter cette sentence historique, qui devrait tomber au plus tard à la mi-octobre, le mouvement indépendantiste est profondément divisé. Pour ne pas être inaudible, il devra réussir à parler d’une seule et même voix. Or, c’est la cacophonie entre les deux partis indépendantistes: la gauche d’Oriol Junqueras et la droite de Carles Puigdemont. Les entités associatives ANC et Omnium jouent leur propre partition. Il faut compter aussi avec la lutte intestine que se livrent les différents clans au sein des familles politiques.
Elections catalanes
En coalition gouvernementale, la gauche (ERC) et la droite (Junts Per Catalunya) se sont affrontées pendant la saison estivale à fleurets mouchetés. Avec sous le bras des sondages flatteurs, la gauche républicaine catalane (ERC) veut pour réponse à la sentence judiciaire de nouvelles élections catalanes. ERC se voit déjà à la présidence de la Generalitat. « Avec quels alliés? » demandent Junts Per Catalunya qui accuse ERC de planifier une coalition avec les socialistes et la gauche radicale de Podemos. La menace de lâcher le mot « trahison » sur la tête du parti d’Oriol Junqueras plane.
Les dirigeants d’ERC connaissent parfaitement les ravages d’une telle accusation au sein du monde indépendantiste. Si le président de la Generalitat Quim Torra (Junts Per Catalunya) ne convoque pas des élections à très court terme – et c’est lui seul qui détient cette compétence – ERC ne déclenchera pas une crise gouvernementale en quittant l’exécutif catalan. La gauche ne veut pas officiellement être celle qui qui inocule le germe de la division. Mais Machiavel n’est pas loin. Les stratèges de la gauche républicaine ont revu leur copie et demandent désormais qu’au lendemain de la sentence soit formé un gouvernement d’union nationale. Avec les indépendantistes d’extrême-gauche de la Cup et éventuellement Podemos. Le plan d’ERC passe par une ingouvernabilité qui forcerait Torra à convoquer finalement des élections. C’est passer un peu rapidement sur la capacité de résistance des amis de Carles Puigdemont face aux blocages institutionnels.
Confrontation démocratique
Fidèle à sa marque de fabrique, Carles Puigdemont et son entourage veulent une confrontation, une tension, un choc avec l’État espagnol. Mais la montagne risque d’accoucher d’une souris sous le concept de la « confrontation démocratique » selon l’expression lancée par Quim Torra. Une formule absconse alors que le sage président Torra ne pourra probablement pas appliquer ce que préconise le fougueux militant Torra. Car force est de constater que depuis le fatidique 27 octobre 2017, le gouvernement et le parlement catalan n’ont pas une seule fois désobéi à une loi espagnole en vigueur. Le risque de prison et/ou la suspension des institutions catalanes est trop élevé.
En plus des frictions extérieures, les partis politiques sont traversés par des courants internes. Surtout chez ERC où les bons sondages aiguisent les appétits de pouvoir. La bataille fait rage entre le ministre catalan de l’économie Pere Aragonés et le président du parlement Roger Torrent pour être le candidat du parti à la présidence de la Generalitat aux prochaines élections. C’est Pere Aragones qui tient l’appareil et possède le plus de soutiens, mais les sondages sont meilleurs pour Roger Torrent.
La Diada
Première conséquence visible de ces déchirements : la dynamique de la manifestation de la Diada. Traditionnellement organisée par l’association Asemblea Nacional de Cataluya (ANC), la manifestation indépendantiste encadrant la fête nationale catalane du 11 septembre aura lieu cette année Plaça Espanya. Le député historique d’ERC Joan Tarda a menacé début août de ne pas participer au défilé. Le motif de la bouderie réside dans les critiques qu’émet l’ANC contre la timidité des partis à rendre effective l’indépendance de la Catalogne.
« Les partis et le gouvernement nous ont fait perdre beaucoup de temps en refusant d’implanter concrètement la République catalane » souffle à Equinox la présidente de l’ANC Elisenda Paluzie. « J’ai bien peur que la même perte de temps se reproduise lors de la réponse face à la sentence. Avec leurs divisions, je ne suis pas sûre que le gouvernement et les partis soient préparés d’ici la sentence » s’inquiète Paluzie.
En revanche la cheffe de l’ANC fait confiance au peuple catalan pour descendre massivement dans la rue le 11 septembre et après la sentence. La forte mobilisation sociale, aux accents de révoltes dans les rues barcelonaises, reste la seule certitude du mouvement indépendantiste.