Equinox publie tout l’été sa grande collection historique: les présidents de la Catalogne moderne. De Francesc Macià en 1932 à Quim Torra en 2019, retour sur les grandes figures dirigeantes du territoire catalan.
L’actuel 131e président de la Generalitat a célébré il y a quelques mois sa première année de législature. Une présidence annoncée courte et décisive, mais qui se prolonge avec un parlement toujours plus divisé. Éditeur et avocat de profession, Quim Torra était presque un inconnu parmi la société catalane quand Carles Puigdemont le choisit comme successeur depuis son exil bruxellois.
Quim Torra est né à Blanes, entre Barcelone et Gérone, en 1962, au sein d’une famille de classe moyenne et cultivée. Son père, ingénieur chimique, fut membre de la direction d’une entreprise dans le secteur du textile. Il voulu que ses fils soient de bons élèves et leur transmit son goût pour la lecture. Comme ses trois frères et sa soeur, Quim descend à Barcelone pour étudier au sein de l’école des Jésuites de Sarrià. Il poursuit sa formation supérieure à l’Universitat Autònoma de Barcelona où il obtint un diplôme de droit. Il passe l’essentiel de sa vie active au sein des assurances Winterthur. Pendant deux ans, il a eu l’occasion de travailler pour la filiale suisse de la société.
Suite au rachat de la compagnie d’assurance par AXA , Torra reçut l’offre d’aller à travailler à Madrid, mais il refusa et démissionna. Il commence alors un travail de recherche sur la figure littéraire d’Eugeni Xammar, un correspondant catalan en Europe lors des première et seconde guerres mondiales. Fasciné par la vie de Xammar, Quim Torra poursuit des recherches sur les récits des existences des journalistes catalans sous le régime républicain espagnol et lors de l’exil de la Generalitat.
Une figure de l’indépendantisme culturel
Portée par sa passion républicaine, Torra crée la maison d’édition ‘A Contra Vent’, spécialisée dans le journalisme littéraire et humoristique. L’année suivante, il reçoit le prix Carles Rahola avec son essai ‘Viatge involuntari a la Catalunya impossible’, où il exprime sa vision idéalisée de la Catalogne, avec des échos de l’époque républicaine.
Il ne tarda pas à s’intéresser à la politique. D’abord chez les nationalistes modérés d’Unió Democràtica de Catalunya et ensuite à Reagrupament, une scission ultra-indépendantiste. Lors de la rupture d’Unió, Torra aura cette phrase: « le débat n’est plus de droite ou gauche, du libéralisme ou de la social-démocratie: aujourd’hui la bataille c’est entre unionisme et indépendantisme”. En 2004, après un échec électoral, Reagrupament finit par se dissoudre et rejoint Convergència le parti de centre-droit dont sont issus Artur Mas et Carles Puigdemont.
En 2012, Quim Torra devient directeur du très catalaniste Centre Culturel du Born à Barcelone. A ce poste, il organise la célébration du Tricentenaire de la Guerre de Succession à Barcelone en 1714; ce moment où les troupes espagnoles firent tomber Barcelone après une année de siège. Limogé ensuite par la maire Ada Colau, Torra en gardera rancune. Il devient en 2016 directeur du Centre d’Estudis de Temes Contemporanis du gouvernement de la Catalogne. Un poste où il se consacre à l’internationalisation du processus indépendantiste catalan. Entre 2013 et 2015 il occupa aussi la vice-présidence de l’association catalaniste Òmnium Cultural, et fut membre permanent de l’Assemblea Nacional Catalana (ANC).
Le saut au parlement
Quim Torra passe en première ligne au sein de la politique catalane en se présentant numéro 11 sur la liste de Carles Puigdemont le 21 décembre 2017. Il fait partie du cercle de confiance de l’ancien président. Ces élections sont uniques dans l’histoire catalane car elles ont été convoquées par le premier ministre Mariano Rajoy, dans une Catalogne suspendue institutionnellement par l’article 155 de la constitution en réponse à la déclaration d’indépendance.
Bien que la droite anti-séparatiste Ciutadans remporte ces élections, les forces indépendantistes (Junts x Catalunya et Esquerra Republicana) s’unirent pour former un gouvernement de coalition. La volonté initiale fut de nommer comme président Carles Puigdemont en exil, puis l’activiste Jordi Sanchez en prison, et enfin l’ancien ministre Jordi Turull qui finira derrière les barreaux entre les deux tours du débat d’investiture. Finalement, sous l’impulsion de Puigdemont, Quim Torra, inconnu du grand public, fut investi 131e président de la Generalitat le 14 mai 2018.
Les polémiques
Quelques minutes à peine après l’annonce de Carles Puigdemont désignant Quim Torra comme son successeur, une pluie de critiques est tombée sur le nouveau président. Du néo-conservateur Albert Rivera (Ciutadans) à la maire Ada Colau (Podemos), l’ensemble de l’arc politique s’est indigné, présentant Quim Torra comme un xénophobe suprématiste catalan.
A l’origine de la polémique, une série de tweets qu’a publié Torra en 2012. Dans ces messages, Torra différencie systématiquement les Catalans des Espagnols. “Les Espagnols ne savent que piller.” “Evidemment, nous (les Catalans) vivons sous occupation des Espagnols depuis 1714.” “Si nous continuons comme ça encore quelques années, nous risquons (les Catalans) de devenir aussi fous que les Espagnols eux-mêmes”. “Les Espagnols en Catalogne sont comme l’énergie: ils ne disparaissent pas, ils se transforment”. “Surtout, ce qui est surprenant, c’est le ton, les mauvaises manières, la charcuterie espagnole, le sentiment d’immondices”.
Avant son investiture présidentielle, Quim Torra a présenté ses excuses pour ces paroles écrites six ans plus tôt.
Une législature compliquée et plus longue que prévue
Peu de personnes auraient voulu être à la place de Quim Torra pour prendre la présidence de la Generalitat de la Catalogne. Musclé au départ, le concept était la restitution du “gouvernement légitime”, celui qui a été suspendu par Madrid en automne 2017 et dont les membres sont à peu près tous en prison ou en exil. Mais plus d’une année plus tard, le gouvernement Torra stagne et reste paralysé aussi bien dans les politiques indépendantistes que générales.
En ce qui concerne le dialogue avec le gouvernement espagnol, l’espoir initial a laissé place à la déception. Le premier ministre socialiste Pedro Sánchez se montre plus ouvert aux négociations que le conservateur Mariano Rajoy, mais il finit par déclarer les propositions de Torra, notamment l’organisation d’un référendum, “hors du cadre juridique”. Par ailleurs, Torra vit un calvaire face aux divisions des partis indépendantistes. Avec ses désaccords, le camps souverainiste n’est pas capable d’approuver un budget. La Catalogne est gérée avec les comptes caduques de 2017.
Impossible de savoir quand Quim Torra achèvera sa législature. Les prochaines élections catalanes sont prévues en 2022. Mais il est fort à parier que Torra dissoudra tôt au tard le parlement, pour convoquer les Catalans aux urnes. La gauche indépendantiste ERC est pressée car elle a le vent en poupe dans les sondages. Le parti d’Oriol Junqueras aimerait que la réponse à la sentence du procès des dirigeants catalans soit une convocation électorale. Ce que refuse Carles Puigdemont et Quim Torra pour ne pas voir leur parti de centre-droit perdre le pouvoir. Il y a beaucoup d’éléments en ligne de compte susceptibles de faire basculer les événements. La sentence judiciaire pourrait être le déclencheur d’une nouvelle révolte sociale.
La Catalogne Républicaine à laquelle Quim Torra rêvait en lisant les journalistes en exil durant les années 20 est aujourd’hui loin d’être une réalité.