Equinox publie tout l’été sa grande collection: les présidents de la Catalogne moderne. De Francesc Macià en 1932 à Quim Torra en 2019, retour sur les grandes figures dirigeantes du territoire catalan.
Carles Puigdemont est né il y a 55 ans dans le village d’Amer, près de Gérone. Il raconte qu’enfant, il ne trouvait pas de drapeau indépendantiste dans son village et exigea de sa grand-mère qu’elle lui en tricote un. Ce fils de pâtissiers se passionnera très tôt pour la culture catalane, et enverra à peine adolescent ses chroniques au quotidien indépendantiste Punt Diari. A 19 ans, il y devient journaliste, puis rédacteur en chef. Deux sujets rythmeront sa carrière : l’image de la Catalogne à l’international et l’intégration des nouvelles technologies dans son métier. Il est l’un des premiers utilisateurs de twitter et s’intéresse constamment aux évolutions du monde de la communication. “Il veut toujours avoir une longueur d’avance, confie un ancien collègue, il n’aime pas se faire prendre de court”.
Toujours accro au réseau social, Carles Puigdemont tweete encore plusieurs fois par jour. Passionné par les langues, il maîtrise le français et l’anglais. En 1994, il compile des articles de la presse internationale dans un ouvrage intitulé “Cata… quoi?” (Cata..què?). Il se rend alors compte d’une profonde méconnaissance de la Catalogne autour du monde. Quatre ans plus tard, il fonde une agence de presse dédiée à l’actualité de la région, l’Agence Catalane d’Information, puis en 2002 il s’implique dans la création du premier quotidien catalan en langue anglaise Catalonia Today. Décrit comme tenace par ses confrères, il réussira à installer durablement ces deux projets dans le paysage médiatique local. “Si un problème l’empêche d’avancer, il ne va pas dormir tant qu’il n’aura pas trouvé la solution” poursuit son ancien collègue.
La politique, une passion
Jeune homme, Puigdemont s’implique dans la section jeunesse de CiU, le parti de centre-droit catalaniste d’Artur Mas. Mais il attendra 43 ans pour se présenter aux élections et devenir député au parlement catalan. Selon ses amis d’enfance, “la politique a toujours été sa première passion”. Mais Puigdemont estime qu’il aurait pu être musicien. Ado, il jouait déjà dans son propre groupe. Alors qu’il était déjà président de Catalogne, il n’a pas hésité à monter sur scène pour jouer un titre avec un groupe catalan. “Je ne renoncerai à la musique pour rien au monde » a-t-il dit dans une interview, certains se défoulent en allant courir, moi c’est avec la musique”.
Fan des Rolling Stones mais aussi des Beatles, il n’en faudra pas plus pour que le public, intrigué par son épaisse frange, y voit un hommage au groupe anglais. La presse l’appellera bientôt “le cinquième Beatle”. Aucun rapport, répond sa coiffeuse interrogée par plusieurs médias “Il veut toujours la même coupe de cheveux depuis des années, se lamente-t-elle, il refuse de changer, alors que pour sa fonction de président cela aurait été quand même mieux”.
Président Puigdemont
Le processus indépendantiste initié par le président Artur Mas en 2011 est au creux de la vague en ce dimanche 12 janvier 2016. L’extrême-gauche séparatiste de La Cup refuse d’investir Artur Mas pour un nouveau mandat. Hors de question pour le parti anarchiste de voter pour Mas qui est l’incarnation physique, pour l’extrême gauche, de la corruption, du libéralisme et des coupes budgétaires dans les programmes sociaux. Pour ne pas perdre complètement le pouvoir, Mas propose comme successeur, un membre de son parti : Carles Puigdemont. La Cup accepte le deal en raison du profil indépendantiste radical de Puigdemont et de la profonde amitié qui lie le futur président avec un des leaders gironnais de la Cup : Benet Salellas, devenu aujourd’hui avocat dans le procès des prisonniers catalans.
Mais si Artur Mas pensait avoir un homme de paille dans le corps de Puigdemont, il s’est lourdement trompé. Le 130e président de la Generalitat veut entrer dans l’histoire et porter la Catalogne vers son indépendance. La relation avec le Premier ministre conservateur espagnol Mariano Rajoy fut comme du sel sur une plaie pendant les 18 mois du mandat Puigdemont. Les deux hommes n’ont strictement aucune affinité, ni personnelle, ni politique.
Quelques années avant que Carles Puigdemont ne devienne président, une anecdote démontre l’incompréhension mutuelle. Nous sommes le 8 janvier 2013. Mariano Rajoy voyage en AVE pour inaugurer la ligne Madrid-Barcelone-Gérone. Sont présents le président catalan de l’époque Artur Mas, celui qui allait devenir roi l’année suivante Felipe VI et la ministre des Transports Ana Pastor. Rajoy et Mas se parlent à peine, le processus indépendantiste a déjà commencé à Barcelone, et l’ambiance entre les deux hommes est froide. A l’arrivée du train à Gérone, un homme est sur le quai et manifeste contre l’inauguration de l’AVE. Cette personne que ne connait pas encore Mariano Rajoy est Carles Puigdemont, alors maire de Gérone. En 2013, la mairie de Gérone est entrée en conflit avec le gouvernement espagnol au sujet des travaux entourant l’arrivée de l’AVE. En cause des tunnels qui subissent des inondations, notamment sur les anciennes lignes des Rodalies (trains de banlieue). Carles Puigdemont, en qualité de maire de la ville, avait entamé une procédure judiciaire contre l’Etat espagnol, opinant que Gérone ne recevait pas un traitement satisfaisant au sujet de ses infrastructures ferroviaires. Du coup, sachant que Rajoy arrivait pour l’inauguration, Puigdemont a monté une manifestation de protestation. Artur Mas fit les présentations entre les deux hommes.Aucun des trois n’imaginait alors que Puigdemont remplacerait Artur Mas à la présidence et que 5 ans plus tard il serait en exil à Bruxelles.
Nuits noires et blanches
Pourtant, Puigdemont se déclare incompris de tous. Si le président a déployé une énergie sans précédent pour organiser le référendum du 1er octobre 2017, il semble déchiré quant à sa position sur la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI). Son coeur le pousse à proclamer l’indépendance, sa raison semble le retenir.
Pendant les longues nuits d’octobre 2017, à Barcelone, le « Sanhédrin » indépendantiste débattait des actions futures à suivre. Carles Puigdemont apporte lors de ces réunions un point de vue souvent paradoxal. Face au groupe modéré des amis d’Artur Mas s’opposant à la déclaration d’indépendance, Puigdemont répliqua: « tout le monde connaissait mon idéologie séparatiste, pourquoi êtes-vous venu me chercher à Gérone? ». A l’exact opposé, il cingla les plus radicaux supporters de l’indépendance avec une prophétie totalisatrice : je ne vais pas m‘exiler pour distribuer des cartes de visites d’une république imaginaire. »
Finalement, dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 octobre 2017, grâce à la médiation du président basque Iñigo Urkullu, des responsables socialistes et de Podemos, Carles Puigdemont, dans la douleur et les cris, a pris sa décision : il n’y aura pas de déclaration d’indépendance mais les Catalans seront appelés aux urnes dans la légalité constitutionnelle espagnole. A 9h, le jeudi 26 octobre, la presse est convoquée au Palau de la Generalitat pour annoncer que le parlement était dissous et des élections organisées. A Madrid, silence radio. Mariano Rajoy refuse de confirmer que l’article 155, qui devait être voté au Sénat le lendemain pour suspendre les institutions catalanes, ne sera pas appliqué si Puigdemont abandonne la DUI. Rajoy fait le mort. La place Sant Jaume, siège du gouvernement, prend vie se remplissant de manifestants indépendantistes hostiles à Puigdemont. Les réseaux sociaux débordent de haine à l’encontre du président catalan accusé de traître, des parlementaires indépendantistes accablent Puigdemont. Oriol Junqueras menace de démissionner du gouvernement. Chaos. La pression est trop forte pour Carles Puigdemont qui change d’avis et ordonne au parlement catalan de déclarer solennellement la sécession.
Exil
27 octobre indépendance, 28 bain de foule à Gérone, 29 Puigdemont passe discrètement la frontière française en voiture pour prendre un avion à Marseille destination Bruxelles, le 2 novembre le vice-président catalan Oriol Junqueras est emprisonné. Les deux hommes ne s’aimaient pas, désormais ils se détestent. Concurrents politiques pour diriger le mouvement indépendantistes, Puigdemont et Junqueras se livreront une guerre à distance, de la prison à l’exil.
Contactés pour cet article, les amis de Carles Puigdemont n’ont pas d’empathie pour le chef de la gauche indépendantiste incarcéré depuis deux ans. « Il n’avait qu’à suivre Carles Puigdemont en exil, Oriol Junqueras est parti en prison car il se prend pour Nelson Mandela » attaque sans nuance un intellectuel proche de Puigdemont. Pour les proches de Junqueras, le ton est le même contre l’ancien président : « C’est un homme sans principe, ni éthique » tacle un député de la gauche indépendantiste.
Carles Puigdemont, après avoir fait un séjour en prison en Allemagne, poursuit son exil à Bruxelles. Peut-être pas pour longtemps. A la mi-octobre, le tribunal suprême rendra son verdict dans l’affaire de la déclaration d’indépendance. Le vice-président et les ministres de l’époque risquent des peines de prison comprises entre 17 et 25 ans. Une sentence ferme permettra à la justice espagnole de redemander l’extradition de l’ancien président devant les autorités belges. Avec un jugement rendu, il sera plus difficile aux juges belge de refuser le retour de Puigdemont en Espagne comme ils l’ont décidé l’an dernier. Dans ce cas de figure, il apparaît quasiment certains que l’ancien président partira dans un pays hors des frontières européennes. « L’État a détruit sa vie, Puigdemont continuera à chercher à détruire l’Etat espagnol » prophétise à l’auteur de ces lignes l’intellectuel Jordi Amat.
Inconnu du grand public en 2015, Carles Puigdemont est devenu en quelques mois le président catalan le plus célèbre à échelle internationale.