Le Parlement espagnol a rejeté la candidature du socialiste Pedro Sánchez au poste de Premier ministre. L’Espagne est en crise politique et se dirige vers de nouvelles élections législatives.
Non c’est non. Pour la deuxième fois en 48 heures le Parlement espagnol refuse d’accorder sa confiance au Premier ministre par interim Pedro Sánchez. Avec ce vote défavorable, le socialiste n’est pas confirmé à son poste de chef de gouvernement et le pays se rapproche d’une nouvelle élection législative anticipée le 10 novembre prochain.
Sur le papier les socialistes (PSOE) et la gauche radicale (Podemos) pouvaient former une majorité relative avec 165 députés. Dans les faits, ni le PSOE, ni Podemos n’ont eu le désir d’articuler un gouvernement de coalition. Depuis 1978, les socialistes se considèrent comme l’unique force de gauche capable et légitime de gouverner le pays. Le PSOE n’a offert à Podemos qu’une vice-présidence symbolique. Podemos veut sortir du cadre de la gauche protestataire et diriger les ministères du Travail, de l’Écologie, des Impôts et du Logement. Le parti cherche à développer son programme: encadrement des loyers, baisse des factures d’énergie et annulation de la réforme libérale du code du travail du gouvernement Rajoy.
Ces mesures ne font pas partie du programme électoral socialiste, répondent les équipes de Pedro Sánchez. Il ne peut pas y avoir un gouvernement parallèle de Podemos au sein du gouvernement de la nation se défend le PSOE. Dans le débat d’investiture d’aujourd’hui Pedro Sánchez, plutôt que de défendre sa candidature, a prononcé un discours extrêment condescendant envers Podemos, les qualifiant d’incompétents pour gérer un budget d’un ministère.
De son côté, Pablo Iglesias répond que les socialistes ont voulu négocier un gouvernement de coalition en 48h alors qu’ils ont rien fait pendant 80 jours, c’est-à-dire depuis la date des dernières élections. La situation était bloquée depuis fin avril, puisque les socialistes ne souhaitaient pas discuter avec Podemos. Pablo Iglesias considère que les socialistes ont fait « un coup pourri » en révélant à la presse les documents de travail confidentiels des négociations.
Emmanuel Macron et Ciudadanos
Pedro Sánchez n’a pas peur de se représenter à de nouvelles élections. Les sondages sont flatteurs pour les socialistes qui pourraient améliorer leur résultat et se débarrasser de Podemos. Gouverner seul avec une majorité absolue reste le fantasme socialiste. Un second scénario reste encore possible. Début mai, Pedro Sánchez en visite officielle en France a rencontré le président Macron. Le chef d’État français s’est montré très clair: Ciudadanos, qui a fait un bout de chemin politique avec La République en Marche, doit collaborer avec les socialistes pour former un gouvernement. Le but est de mettre en place une politique sociale libérale comme en France et de bloquer la gauche radicale de Podemos. Pour le moment Albert Rivera, le leader de Ciudadanos, oppose une fin de non-recevoir et veut se placer chef de l’opposition de droite pour tenter de faire disparaître le Partido Popular. Les grandes entreprises insistent pour qu’Albert Rivera cède et gouverne avec les socialistes. Les délais permettent encore que l’opération puisse avoir lieu.
La fracture indépendantiste
L’indépendantisme catalan est l’un des grands perdants de la journée. Un camp indépendantiste plus divisé que jamais. La gauche (ERC) pilotée par Oriol Junqueras depuis la prison de Lledoners et la droite (Junts Per Catalunya) dirigée par Carles Puigdemont depuis Bruxelles se regardent en chien de faillance. La gauche est favorable au dialogue et à l’ouverture avec Madrid. Lors du premier tour du débat d’investiture mardi dernier, Oriol Junqueras a demandé à son porte-parole parlementaire Gabriel Rufián d’utiliser un ton aimable envers Pedro Sánchez. Ce dernier a remercié Rufián de son amabilité, mais a demandé en même temps au camp indépendantiste de cesser sa radicalité et son unilatéralisme. Une sortie qui a déplu à Junqueras, qui déplore que Sánchez amalgame les positions musclées de Carles Puigdemont avec les siennes officiellement plus mesurées.
La Moncloa n’a pas plus confiance en ERC qu’en Junts Per Catalunya. Madrid analyse que, malgré des stratégies différentes sur le papier, les deux partis sont soumis à la pression morale de l’indépendantisme radical et finissent par prendre des décisions qui favorisent la rupture avec le gouvernement central. Pedro Sánchez a encore en tête, la scène de mai dernier. Chaque parlement autonome désigne ses sénateurs qui iront siéger à Madrid. En règle générale c’est une simple formalité: les partis politiques, en fonction des résultats obtenus aux élections, formulent un souhait devant l’ensemble du parlement afin d’envoyer leur candidat au Sénat. Via un vote en séance plénière, les députés valident la candidature du futur sénateur.
Le groupe socialiste a choisi Miquel Iceta, le bras droit catalan de Pedro Sánchez. Une fois devenu sénateur, les socialistes projetaient de l’investir président de la chambre haute. Or, ERC et Junts Per Catalunya ont uni leur vote au Parlement catalan pour empêcher que Miquel Iceta ne puisse pas devenir sénateur. Du jamais vu en Espagne. Les indépendantistes entendaient ainsi protester contre les incarcérations de leurs leaders.
Depuis cet épisode, Pedro Sánchez n’a plus aucune confiance. Il attend la réaction des partis indépendantistes face à la sentence du procès cet automne. Les leaders incarcérés peuvent écoper de dizaines d’années de prison. Selon la tournure des événements, le gouvernement espagnol choisira la voie du dialogue ou de la répression.
Si le Parlement n’investit pas Pedro Sánchez Premier ministre avant le 12 septembre, des nouvelles élections auront lieu le 10 novembre. Ça sera la cinquième fois que les Espagnols seront appelés aux urnes en 2019.