Comment Ada Colau a réussi à rester maire de Barcelone

Ada Colau vient d’être investie pour un second mandat au terme de l’élection la plus longue de l’histoire municipale barcelonaise qui aura sans doute fait perdre foi en la politique à plus d’un électeur. Après une victoire de l’indépendantiste Ernest Maragall le 26 mai dernier, une coalition inattendue s’est formée pour donner la mairie à Ada Colau. Explications. 

La loi électorale prévoit que le candidat aux municipales arrivé en tête au soir du scrutin remporte automatiquement la mairie, sauf si une majorité absolue de conseillers municipaux se forme pour donner vie à une candidature alternative. Une option qui n’a jamais été utilisée à Barcelone. L’investiture d’Ada Colau qui a eu lieu un peu après 17h ce samedi dame le pion à l’indépendantisme Ernest Maragall.

Pour exercer un second mandat, Ada Colau avec ses 10 conseillers de gauche radicale, a pactisé avec les 8 élus socialistes qui obtiendront la moitié de l’exécutif de la mairie. Plus surprenant, Ada Colau a accepté le vote de son pire ennemi politique : Manuel Valls, candidat de la droite libérale Ciutadans. Sans les votes de Manuel Valls et deux autres membres de son groupe, Colau n’aurait pas eu la majorité nécessaire au conseil municipal.

Pendant toute la campagne électorale, Ada Colau n’a pas eu de mots assez durs contre Manuel Valls, représentant selon elle de « la caste, de la finance, des puissants, de l’ordre » : tout ce que l’activiste combat depuis une dizaine d’années. Les membres du parti de Colau En Comú ont longuement critiqué les politiques de Manuel Valls lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en France, le qualifiant ouvertement de raciste et de xénophobe pour avoir notamment expulsé les Roms.

De son côté, Manuel Valls a fait du rejet d’Ada Colau un marqueur de sa campagne. « Le populisme d’Ada Colau et l’indépendantisme d’Ernest Maragall sont deux faces d’une même pièce de monnaie » affirmait encore 48 heures avant le vote l’ancien ministre français. Changeant brusquement de discours une fois l’élection passée, Manuel Valls a expliqué qu’il fallait créer un cordon sanitaire autour de l’indépendantisme. Dont acte, le conseil municipal a voté aujourd’hui peu après 17h : Ada Colau restera la première magistrat de la capitale catalane.

Les secteurs d’affaires en froid avec la municipalité depuis depuis 4 ans ont finalement placé leur confiance en Colau pour faire barrage à l’indépendantisme. La déclaration de sécession du 27 octobre 2017 a visiblement laissé des traces dans les milieux capitalistes qui ne voulaient pas un maire souverainiste et ont encouragé Manuel Valls à permettre le second mandat de Colau.

Si Ada Colau a obtenu un large support de son parti politique (70% des bases de Barcelona en Comú soutiennent l’accord selon un vote interne qui a eu lieu hier), l’opération de sauvetage de la maire sortante s’est déroulé dans un climat très tendu avec les indépendantistes. Le parti de gauche républicaine (ERC) pour lequel Ernest Maragall était candidat souhaitait gouverner avec Ada Colau en coalition. D’ailleurs, 80% du programme d’ERC et de Barcelona en Comú coïncident. La stratégie des Républicains était d’élargir la base électorale de l’indépendantisme en s’alliant avec Ada Colau. Cette dernière, en refusant et préférant se placer clairement dans le camp de l’unité de l’Espagne, est accusée de trahison par les intellectuels, influenceurs et journalistes proches de l’indépendantisme. Le gouvernement catalan et le président Joaquim Forn ont aussi vertement pointé du doigt Ada Colau toute la semaine.

ada colau maire de barcelone

Les socialistes et leurs exigences

Reste à voir maintenant comment va s’articuler le prochain exécutif municipal. Les socialistes de Jaume Collboni réclament la moitié des postes, concept que Colau semble prête à accepter. Collboni et son équipe veulent récupérer les trois axes sur lesquels le premier mandat d’Ada Colau a, selon eux, échoué.

La gestion de la sécurité, qui est la préoccupation première des Barcelonais, est réclamée par les socialistes. Loin de l’angélisme du premier mandat de Colau, Collboni aimerait que le prochain adjoint en charge de la sécurité soit l’ancien chef des Mossos d’Esquadra Albert Batlle. Une nomination forte qui redonnerait le moral aux agents de la Guardia Urbana en conflit ouvert depuis quatre ans avec Ada Colau. Les socialistes réclament également les départements du tourisme et de l’économie.

Le progressisme de Colau

Ada Colau devrait appliquer d’ici 2023 les mesures phares de son programme. Contraindre les promoteurs immobiliers à affecter 50% des nouvelles constructions à des logements sociaux. Actuellement le seuil est à 30% et a été voté par la mairie sortante. Ada Colau veut donner la priorité à certains quartiers pour y développer les logements sociaux : Ciutat Vella, l’Eixample,  Vila de Gràcia, Camp del Grassot, Poble-sec et Poblenou.

Colau propose aussi “une révolution verte” pour  l’Eixample avec une construction de places dans chaque quartier de ce district. Les arbres seront en augmentation sur les rues Rosselló, Provença, Consell de Cent, Ausiàs March, Rocafort, Girona et Sicília. Colau ambitionne de créer un “refuge climatique” en limitant la vitesse à 50 km/heure sur les axes principaux et 30 km/heure dans les rues secondaires.

Joaquim Forn : de la prison au conseil municipal de Barcelone

La séance plénière d’investiture fut également historique avec la présence du prisonnier Joaquim Forn, qui a obtenu l’autorisation du tribunal suprême pour siéger en qualité de conseiller municipal. Ancien ministre catalan de l’intérieur, Forn est placé en prison préventive depuis la déclaration d’indépendance d’octobre 2017 qui pourrait se traduire par 17 ans de réclusion criminelle. Un dispositif policier exceptionnel a été installé tout autour du bâtiment de la mairie de Barcelone pour accueillir le prisonnier qui n’a pas pu sortir de l’édifice, contrairement aux autres conseillers municipaux qui, comme le veut la tradition, ont traversé la place Sant Jaume pour être reçus par le président catalan au Palau de la Generalitat.

independance de la Catalogne

Depuis 2015, Forn, qui a été premier adjoint du maire Xavier Trias il y a 8 ans, ne cachait pas son désir de devenir maire de Barcelone. Malgré l’incarcération, l’indépendantiste de centre-droit a présenté sa candidature et obtenu 10,47 % des suffrages. S’il a pu assister aujourd’hui à la séance d’investiture, avant de retourner immédiatement dans sa prison madrilène, Joaquim Forn devra être suspendu de ses fonctions de conseiller municipal dans les prochains jours. Une première épreuve du feu pour Ada Colau qui demande la libération des ex-dirigeants catalans incarcérés, en désaccord avec son nouvel associé Jaume Collboni, défenseur de l’unité de l’Espagne et farouche opposant des indépendantistes.

Tension maximale

Cet après-midi, l’ambiance sur la place de la mairie a été bien différente de celle de 2015, lorsque les supporters d’Ada Colau en liesse scandaient « Sí, se puede » (oui on peut). Aujourd’hui, ce sont surtout les indépendantistes qui se sont massés sur la Plaça Sant Jaume, en soutien à Joaquim Forn mais surtout très remontés contre Ada Colau.

« Dehors », « Colau est une fraude », « Honte » ou encore « Manuela » (pour avoir été élue avec les voix de Manuel Valls) sont quelques-uns des slogans criés pendant toute la session d’investiture retransmise sur écran géant.

Ada Colau a assuré dans son discours qu’elle ne serait « ni une maire indépendantiste, ni une maire anti-indépendantiste », tout en reconnaissant que « ce n’était pas un jour vraiment heureux, c’est une investiture difficile, comme nous n’aurions jamais imaginé ».

Manuel Valls a été lui aussi copieusement hué par la foule qui a tourné le dos à l’écran géant lors de son intervention, l’insultant même en français. En traversant la place pour se rendre au Palais de la Generalitat, il a répondu aux manifestants avec un poing levé.

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