Après avoir expliqué sur tous les tons qu’il ne soutiendrait jamais Ada Colau, Manuel Valls propose d’investir la maire sortante pour un second mandat.
L’indépendantiste de gauche Ernest Maragall a gagné les élections dimanche soir, mais seulement avec 5.000 voix d’avance sur Ada Colau. La loi électorale stipule que le candidat arrivé en tête devient le prochain maire, sauf si une majorité absolue alternative se forme contre lui au conseil municipal.
Dans le prochain consistoire, Maragall possède dix conseillers municipaux. Ada Colau également dix et les socialistes huit. Le parti socialiste catalan est prêt à pactiser avec Ada Colau, mais le total des deux forces s’élèvent à 18 conseillers, il en manque donc trois pour former une majorité absolue. C’est ici qu’intervient Manuel Valls. Bien qu’ayant échoué dans sa course à la mairie, l’ancien Premier ministre a réussi à se faire élire conseiller municipal, en plus de cinq autres membres de sa liste. Il pourrait faciliter l’investiture d’Ada Colau pour un second mandat en votant pour elle.
Ciutadans, le parti de droite libérale qui l’a soutenu dans sa candidature municipale, est totalement opposé au concept de permettre à la gauche radicale de garder la mairie. Sauf que les relations entre l’ancien Premier ministre et Ciutadans sont si glaciales que Manuel Valls pourrait s’émanciper du parti. Ce dernier reproche à Ciutadans, entre autres, de ne pas avoir débloqué assez de budget pour sa campagne barcelonaise. Avec les numéro 3 et 4 de sa liste, Celestino Corbacho et Eva Parera, Manuel Valls pourrait former un groupe dissident au conseil municipal. Il appuierait la candidature d’Ada Colau sans demander l’autorisation à Ciutadans.
Volte-face permanent
Manuel Valls, socialiste arrivé en Espagne avec le soutien de Societat Civil, une association très à droite, puis soutenu par les libéraux de Ciutadans, finit par donner son appui à la gauche radicale, qu’il a tant critiquée pendant la campagne électorale. Vendredi matin, avant-veille du vote, dans une rencontre privée avec la presse locale à laquelle a assisté un journaliste d’Equinox, un confrère catalan a posé directement la question à Manuel Valls. Était-il possible pour l’ancien Premier ministre de se soutenir Ada Colau après les élections pour faire barrage aux indépendantistes? Absolument pas, a répondu Manuel Valls expliquant avec détermination que pour lui le populisme d’Ada Colau était comme l’indépendantisme d’Ernest Maragall, et que c’était « très clair« .
Depuis son discours de dimanche, où il reconnaissait sa défaite, Manuel Valls a disparu de la scène publique. Mais pas des coulisses de la politique catalane. Après deux jours en huis clos total avec sa garde rapprochée, dont sa sœur, pour finaliser sa décisionm il a annoncé mercredi qu’il soutenait Ada Colau « sans rien demander en contrepartie ».
Un scénario de volte-face qui rappelle le comportement de Manuel Valls lors de la primaire du parti socialiste. Pour se présenter à l’élection présidentielle, il avait participé à la primaire de la gauche en signant noir sur blanc la charte de bonne conduite: le perdant soutiendrait la candidature du gagnant. Jusqu’au soir du vote, Manuel Valls a affirmé qu’il appuierait Benoît Hamon si celui-ci gagnait. Quelques semaines plus tard, après avoir perdu la primaire et à la surprise générale, Manuel Valls soutenait officiellement Emmanuel Macron. Une trahison qui est en partie à l’origine de l’impopularité de Manuel Valls en France.
Ce plan peut-il devenir réalité? L’objectif est extrêmement complexe, mais réalisable. Il faut tout d’abord que En Comú, le parti de gauche radicale d’Ada Colau, accepte de payer le prix politique d’être investi par Manuel Valls et ses amis, que tout oppose aux valeurs de l’actuel maire de Barcelone. Le mouvement est particulièrement divisé sur cette question. « Mais si Valls se détache de la marque Ciudadanos, son appui sera moins difficile à assumer pour Ada Colau, cela reste donc tout à fait envisageable » affirme toutefois à Equinox la politologue Astrid Barrio, qui a récemment signé un livre avec l’ex-Premier ministre sur l’indépendantisme catalan.
Ada Colau est en discussion avec Ernest Maragall pour tenter de former une coalition. L’actuelle maire est prête à laisser sa place à deux conditions: que la prochaine équipe dirigeante de Barcelone soit paritaire entre son parti En Comú et la gauche républicaine (ERC) d’Ernest Maragall. Elle exige également qu’Ernest Maragall renonce à toute politique indépendantiste et qu’il n’ait aucune relation avec Junts Per Catalunya, le parti de Puigdemont qui possède cinq élus au conseil municipal. Compliqué, quand on sait qu’ERC et Junts Per Catalunya dirigent en coalition le gouvernement de Catalogne.
Compte à rebours
D’autre part, le gouvernement socialiste de Madrid ne voit pas d’un très bon œil le rapprochement du parti socialiste catalan avec Ada Colau. Podemos essaie d’entrer dans le gouvernement de Pedro Sánchez, tandis que le Premier ministre espagnol préférait un gouvernement uniquement socialiste. Un rapprochement barcelonais des socialistes avec la branche locale de Podemos dirigée par Ada Colau ne va pas dans la dynamique que souhaite impulser Pedro Sánchez.
« Cette question fait l’objet d’intenses discussions depuis hier, notamment dans le camp Valls, indique à Equinox le journaliste et fin connaisseur de la politique local Rafael Jorba, mais finalement c’est Ada Colau qui a le pouvoir de décider et si elle obtient ce qu’elle veut d’ERC, c’est-à-dire la moitié des adjoints au maire, elle pourra les appuyer… sauf si elle veut absolument rester maire ».
L’investiture du maire de Barcelone doit avoir lieu le samedi 15 juin. Ada Colau et Ernest Maragall se parlent pour tenter de négocier un gouvernement commun.
Si Ada Colau n’obtient pas gain de cause, l’épée de Damoclès « Socialistes-Valls » plane au dessus de la tête d’Ernest Maragall.