Coups bas, jalousie et trahisons: les dessous de la guerre entre indépendantistes

Référendum, déclaration indépendance, répression, prison, exil, amendes, élections à répétition, parcelles de pouvoir à récupérer: la succession d’événements depuis trois ans à mis les nerfs à fleur de peau. Les indépendantistes ne se supportent plus.

« Oriol Junqueras est en prison car il se prend pour Nelson Mandela, il aurait pu rester libre en suivant Carles Puigdemont à Bruxelles » commente à Equinox un intellectuel proche de l’ancien président catalan. « Puigdemont ne reviendra jamais en Catalogne s’il est élu député européen, c’est un homme sans aucune éthique, ni morale » s’agace un député de la gauche indépendantiste (ERC) croisé par l’auteur de ses lignes dans les couloirs du Parlement catalan. « Je viens de défoncer ERC dans mon meeting, ils ne sont pas prêts de m’oublier » se réjouit en prenant un café un candidat aux élections, membre du parti de Puigdemont (Junts Per Catalunya).

La campagne municipale d’Elsa Artadi pour Junts Per Catalunya à Barcelone face au républicain Ernest Maragall, est d’une violence verbale inouïe, où la candidate de Puigdemont frôle l’insulte à chaque fois qu’elle évoque le candidat indépendantiste de gauche.

Aux élections européennes qui auront également lieu le 26 mai prochain, Carles Puigdemont et Oriol Junqueras s’opposent sur des listes indépendantistes opposées. Le ton de la campagne devient aigre en même temps que les croche-pattes se multiplient.

Une longue histoire de rivalité

Ce n’est pas nouveau. Les deux grands partis souverainistes catalans, le centre droit et la gauche bataillent pour exercer le pouvoir depuis 1981. Pendant 20 ans, le centre droit de Convergencia régna sans partage sous la présidence de Jordi Pujol. De 2002 à 2011, ERC collabora avec les socialistes. Depuis 2011, avec Artur Mas, Carles Puigdemont et Quim Torra, le centre droit récupéra le pouvoir et la Generalitat.

Avec le début du processus indépendantiste moderne en 2012, les tensions s’exacerbent. Artur Mas est au pouvoir sans majorité claire. La gauche indépendantiste soutient le président du bout des lèvres, en échange de l’organisation d’un référendum indépendantiste non autorisé par l’Espagne. D’ici naîtra la consultation populaire du 9 novembre 2014.

indépendance de la Catalogne

En panne dans les sondages suite à des affaires de corruption touchant son parti, Artur Mas réussit à imposer une liste unique indépendantiste et empêchera ainsi ERC de remporter une victoire que les sondages prédisaient. ERC est obligé de céder, les deux partis forment la coalition « Junts Per Si » et se partagent les ministères après avoir remporté les élections. Sous pression de la CUP, l’extrême gauche indépendantiste indispensable pour disposer d’une majorité parlementaire, une grande course à l’échalote se mit en branle pour s’achever par la déclaration d’indépendance, la prison et l’exil.

Il est aujourd’hui dans le domaine public que Carles Puigdemont ne voulait pas faire la déclaration d’indépendance (DUI), mais convoquer des élections après le référendum. Flairant le coup électoral, le président d’ERC a tout de suite annoncé que ses ministres quitteraient le gouvernement s’il n’y avait pas la DUI. Junqueras pensait ainsi se présenter aux élections comme le puriste face au couard Puigdemont. Las, pour ne pas passer pour un traître et aussi poussé dans ses retranchements par le Premier ministre conservateur Mariano Rajoy fermé à toute négociation, au lieu de freiner Puigdemont accélérera et fait proclamer l’indépendance par le Parlement catalan.

Le combat continue

Junqueras en prison, Puigdemont en exil, la lutte continua. Le président d’ERC se porte candidat à la présidence de la Catalogne depuis sa cellule de Madrid. Il a demandé à Puigdemont de soutenir sa candidature en échange d’un poste officiel de représentant de la Catalogne depuis Bruxelles. Insupportable pour Carles Puigdemont qui revendiqua son rôle de président légitime et annonce son retour en Catalogne s’il gagne le scrutin.

Puigdemont n’est pas revenu et a accusé la président du parlement Roger Torrent, figure montante d’ERC, d’empêcher son investiture présidentielle à distance.

oriol junqueras carles puigdemont"

Junts Per Catalunya et ERC qui co-gouvernent la Catalogne avaient annoncé une trêve, au moins jusqu’à la sentence du procès judiciaire. Mais les différents rendez-vous électoraux ont crispé l’atmosphère. Surtout depuis le 28 avril dernier où ERC a clairement gagné les élections législatives sur Junts Per Catalunya. Depuis, le parti de Puigdemont joue sa survie et est devenu très agressif face à la gauche républicaine qui rend coup pour coup.

Barcelone capitale de tous les enjeux

Oriol Junqueras l’a dit: une victoire à Barcelone est indispensable pour remporter la main mise sur le mouvement indépendantiste. Ernest Maragall, est bien placé pour ravir la mairie à Ada Colau. Elsa Artadi est donné en cinquième position. La candidate proche de Puigdemont a ouvert les hostilités en attaquant Maragall qui a 76 ans. La phrase d’Artadi prononcée sur Equinox vendredi dernier « quand Ernest Maragall a commencé à travailler à la mairie de Barcelone, non seulement je n’étais pas née mais mes parents n’étaient même pas mariés » est devenu un punchline que les amis de Puigdemont répètent à l’envie. Les équipes de gauche sont furieuses du ton employé par Artadi.

mairie de Barcelone elsa artadi

La jeune Barcelonaise issue des beaux quartiers de la ville ne « lâchera » plus Maragall jusqu’au jour du vote, l’accusant d’être une doublure d’Ada Colau et un indépendantiste de pacotille. Artadi sait qu’elle ne gagnera pas la mairie de Barcelone, car elle est trop basse dans les sondages. On se demande si elle ne préfère pas qu’Ada Colau reste maire plutôt que le frère ennemi Maragall remporte une victoire éclatante.

Duel final entre Junqueras et Puigdemont

La tension monte encore d’un cran dans l’élection européenne. Depuis sa prison madrilène, Oriol Junqueras a annoncé qu’il serait candidat à deux scrutins afin de démontrer que l’Espagne est un état répressif. Le chef de la gauche catalane a ainsi fait acte de candidature aux législatives du 28 avril dernier et européennes du 26 mai prochain. A peine l’annonce devenue officielle, Carles Puigdemont a demandé à Junqueras de monter aux européennes une liste commune indépendantiste. Fin de non-recevoir de la part de la gauche, Puigdemont se présente face à Junqueras. Le gagnant recevra la légitimité de guider le peuple indépendantiste vers la terre promise républicaine.

Ultra-nerveux le camp Puigdemont accuse aujourd’hui ERC d’égoïsme. Au début de l’année, ERC a lancé sur les réseaux sociaux le hastag #freejunqueras. Immédiatement, la réplique #freetothom (liberté pour tout le monde) a été reprise par tous les réseaux puigdemontistes. Dans le même ordre, cette semaine, des secteurs proches de Carles Puigdemont diffusent sur les réseaux sociaux un montage où l’on voit deux visuels de campagne. Celui d’ERC qui insiste sur la censure dont est victime Junqueras car « l’Espagne a peur de lui. » Tandis que sur celui de Junts Per Catalunya on lit: « si un seul est censuré, tous le sont ». Le message de Puigdemont est clair: nous rassemblons pendant que Junqueras est un égoïste.

indépendance de la Catalogne

Une mauvaise ambiance qui s’est déplacée jusqu’aux plateaux de télévision. Mardi dernier, la chaîne catalane TV3 organisait un débat électoral pour les européennes. Carles Puigdemont n’avait pas prévu d’y participer jusqu’à ce qu’il apprenne qu’Oriol Junqueras fera un duplex depuis sa prison de Madrid. Puigdemont a demandé officiellement à pouvoir s’exprimer depuis Bruxelles. Finalement, la commission électorale espagnole empêchera les deux candidats de participer.

Mais la partie continue. Il était convenu que Jordi Solé pour ERC et Aleix Sarri pour Junts Per Catalunya débattent avec les autres formations politiques. Sauf qu’une fois en direct, Aleix Sarri annonce qu’il ne participera pas à un débat où la censure espagnole règne. Il quitte donc le plateau en laissant au présentateur un discours de Carles Puigdemont enregistré sur une clé USB qui ne sera pas diffusé. Le responsable d’ERC n’était évidemment pas au courant de la manœuvre et se retrouve seul sur la plateau face au fait accompli. Il passe de fait pour le candidat indépendantiste, qui lui accepte d’être dans un débat où règne « la censure espagnole ».

Jeu du chat radical et de la souris négociatrice

Présenter ERC comme des indépendantistes « light » est désormais l’attaque récurrente de Junts Per Catalunya. En effet, pour arriver à la république catalane ERC pense qu’il faut élargir la base électorale de l’indépendantisme qui est bloquée à 48%. Oriol Junqueras analyse qu’une partie de l’électorat socialiste et de Podemos pourrait rejoindre les indépendantistes s’ils font des propositions clairement progressistes.

« ERC veut normaliser la situation d’un état répressif comme l’Espagne, oublier les prisonniers et exilés politiques juste pour élargir une base électorale » pointe du doigt Elsa Artadi.

Dans ce jeu du chat radical et de la souris négociatrice les rôles peuvent parfois s’inverser. On l’a vu cette semaine. Le Parlement catalan devait ratifier la nomination du socialiste Miquel Iceta au Sénat. Rapidement, ERC a annoncé que ses députés feraient barrage à la nomination sénatoriale d’Iceta. C’est la première fois depuis 40 ans qu’un parlement en Espagne s’oppose à une demande sénatoriale. Les indépendantistes veulent punir Miquel Iceta d’avoir soutenu l’application de l’article 155 et de refuser de visiter les prisonniers politiques.

De son côté, Junts Per Catalunya a mis plus de temps à indiquer son opposition. Les comptes Twitter proches d’ERC ont commencé à lancer une rumeur: le parti de Puigdemont est en train de négocier avec les socialistes pour que ses députés et sénateurs à Madrid puissent bénéficier d’un groupe parlementaire. Les résultats électoraux du mouvement de Puigdemont ont été si bas que les six députés de Junts Per Catalunya n’auront pas de groupe propre au parlement espagnol et devront siéger avec les non-inscrits. Ce qui suppose une lourde perte de subventions pour un parti déjà mal en point financièrement. Face à la rumeur, Junts Per Catalunya a indiqué qu’ils voteraient contre la nomination de Miquel Iceta.

Influenceurs indépendantistes

En plus de la compétition des deux partis gouvernementaux, Junts Per Catalunya et ERC sont soumis à la pression de toute une pléiade de groupuscules et d’activistes qui sont ultra-présents sur Twitter. Pour ces « influenceurs » hyper suivis sur les réseaux, Junts Per Catalunya et ERC ne sont jamais assez indépendantistes et sont constamment soupçonnés de trahison envers la cause catalane.

Durant la campagne pour Barcelone Jordi Graupera, candidat aux municipales qualifié d’identitaire d’extrême droite par le journal proche de la CUP « Directa », a utilisé son influence sur le net pour sans cesse attaquer Elsa Artadi et Ernest Maragall. Le programme de Graupera ne fait pas dans la dentelle: expulser l’État espagnol qui a mis en place un système colonial sur Barcelone selon le candidat. Les Andalous et les Latinos ont ete envoyés en Catalogne par le gouvernement espagnol pour faire baisser les salaires et diluer l’identité catalane croit savoir le candidat. Chaque saillie de Graupera est systématiquement retweetée par des milliers d’utilisateurs.

Si les résultats électoraux de ces candidats sont quasiment nuls, Graupera n’apparaît dans aucun sondage, en revanche l’influence morale sur les partis indépendantistes du gouvernement est extrêmement puissante. Ce qui explique en partie certaines décisions de Junts Per Catalunya et d’ERC.

Le 26 mai prochain marquera un tournant dans le monde politique, avec la possible victoire d’Ernest Maragall, première fois qu’un maire indépendantiste dirigerait Barcelone, et avec les différences de votes entre Carles Puigdemont et Oriol Junqueras aux européennes.

Le Premier ministre Pedro Sanchez sera attentif à ces deux résultats.

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