La question du terrorisme bouscule la campagne électorale. Décryptages.
28 avril 2019 : élections législatives en Espagne. Probablement l’un des scrutins les plus serrés, nerveux et crispés de la jeune démocratie espagnole. La déclaration d’indépendance catalane du 27 octobre 2017, la tentative du gouvernement socialiste sortant de tendre la main au gouvernement catalan sécessionniste et le procès judiciaire des ministres de Puigdemont expliquent en grande partie ce climat.
La division de la droite qui se concurrence pour la première fois en trois blocs distincts, conservateurs, libéraux et extrémistes, provoque une course à l’échalote vers des propositions radicales. Toutes concernant la Catalogne : prise de contrôle de la télévision publique TV3, mise sous tutelle des Mossos d’Esquadra, application permanente de l’article 155 de la Constitution espagnole dissolvant l’autonomie politique et institutionnelle de la Catalogne.
Pour jeter encore plus d’huile sur le feu politique, le jeune leader du Partido Popular Pablo Casado a réussi à introduire la menace terroriste en l’amalgamant au pouvoir socialiste sortant.
La question du sang
« Pedro Sanchez préfère avoir les mains tachées par le sang, que tachées par le blanc » s’est écrié Pablo Casado mardi 9 avril à Barcelone. Le blanc est le symbole des victimes des actes terroristes d’ETA au Pays basque de 1952 jusqu’au début des années 2000. Le sang sur les mains du Premier ministre proviendrait d’un rapprochement avec le parti Bildu qui a voté un certains nombre de fois au parlement espagnol en faveur de Pedro Sanchez. Bildu est un parti sulfureux, dont un bon quart des candidats maintiendraient des liens avec des anciens membres d’ETA aujourd’hui dissoute. Une des figures de Bildu est l’ancien terroriste Arnaldo Otegi aujourd’hui apparemment repenti et appelant au pacifisme.
Le rapprochement des socialistes avec Bildu soulève effectivement des questions morales. La sortie de Casado, accusant Pedro Sanchez d’avoir les mains couvertes de sang, est cependant outrancière et a pour but de braconner sur les terres de l’extrême-droite. Le parti ultra-radical Vox est sur le point de dévaliser le Partido Popular d’un nombre important de ses électeurs.
Pays Basque
Errenteria, plaza de Los Fueros, en plein cœur du Pays Basque. Au centre de la ville, Albert Rivera prononce un vibrant discours en faveur de l’unité de l’Espagne et se souvient à voix haute des 19 personnes qui ont perdu la vie, ici même sous le feu d’ETA. Une scène paraissant avoir lieu il y a 15 ans en arrière qui s’est déroulée dimanche dernier.
Albert Rivera, leader de Ciutadans, la droite libérale, ne veut pas se retrouver le bec dans l’eau. Il suit une ligne proche de Vox et a lui aussi mis le terrorisme basque au cœur de son discours. Ici, on ne peut pas parler de récupération de l’actualité, puisque ETA n’existe plus et n’a pas provoqué d’attentats depuis une décennie. Le but du PP et de Ciutadans est d’apparaître comme le plus musclé, de provoquer un maximum d’adrénaline face à Vox. Du coup, le meeting de Rivera s’est conclu par une émeute de séparatistes basques qui se sont affrontés dans les rues de Gipuzkoa avec la police. Effet graphique réussi.
Panne dans les sondages
Si les médias, les réseaux sociaux et les militants les plus excités se réjouissent de cette épopée droitière, les sondages eux sont plus modérés. Alors que Vox effectue une percée, c’est au détriment du Partido Popular qui serait victime d’une chute mortelle, tandis que Ciutadans stagne. Le trident droitier n’aurait pas de majorité. Attention cependant aux sondages dans un pays où les enquêtes sont souvent contredites par les urnes.
Pedro Sanchez profite de cette situation pour tenir un discours modéré et affiche un profil centriste avec pour objectif une grande rafle électorale allant du centre-droit au centre-gauche qui est inoccupé.
En politique on choisit son adversaire. Le candidat socialiste s’inspire de François Mitterrand avec le Front National. Voter FN a souvent fait élire le candidat socialiste en affaiblissant la droite traditionnelle. Pour arriver aux mêmes fins, Sanchez cherche à placer au centre du jeu Vox. « C’est la gauche ou Vox » annonce, plébiscitaire, Pedro Sanchez.
Le Premier ministre a d’ailleurs tenté de refuser un débat sur la chaîne publique TVE qui proposait une rencontre avec toutes les formations politiques du parlement sortant, dont les indépendantistes catalans. De facto Vox est exclu de ce débat ne possédant aucun député dans la précédente législature. Sanchez a essayé de se réfugier sur la chaîne privée Antena 3 qui peut organiser un débat selon ses propres critères sans respecter les normes électorales imposées au service public. Et le Premier ministre voulait exiger la présence de Vox au sein du débat, histoire d’amalgamer pendant toute une soirée les trois partis de droite. La commission électorale a rappelé à l’ordre le candidat Sanchez qui se rendra finalement sur TVE et sans Vox.