Aujourd’hui a commencé le procès du gouvernement catalan qui a déclaré l’indépendance de la Catalogne le 27 octobre 2017. Les dirigeants risquent jusqu’à 25 ans de prison et neuf d’entre eux sont incarcérés de manière préventive depuis 10 à 15 mois. Le débat pour qualifier ces hommes et femmes est très vif : prisonniers politiques ou politiques prisonniers? Éléments de réponse.
« C’est vous qui m’avez converti en un prisonnier politique ». La phrase est prononcée par l’ancien ministre catalan Jordi Turull à son juge Pablo Llarena lors de l’audience relative à son placement en détention provisoire. Alors que le parlement débattait de la possibilité d’investir Turull président de la Catalogne, le juge instructeur envoyait le candidat derrière les barreaux pour son implication dans le référendum du 1er octobre 2017 et la déclaration d’indépendance.
Prisonniers politiques ou politiques prisonniers est un débat qui agite les médias, les partis politiques et les réseaux sociaux depuis le 16 octobre 2017.
Deux semaines après le référendum, les responsables associatifs Jordi Sanchez et Jordi Cuixart étaient placés en détention provisoire suite à une manifestation indépendantiste gênant une perquisition policière espagnole devant le siège du ministère de l’Économie catalan.
Le 2 novembre, la vague d’arrestation et de mise en détention provisoire de la moitié du gouvernement Puigdemont fit encore monter la pression d’un cran pour qualifier ces personnages publics.
La définition d’un prisonnier politique
La question principale, qu’est-ce qu’un prisonnier politique, trouve une double réponse via deux organismes internationaux : le Conseil de l’Europe et Amnesty International.
Pour le Conseil européen, « une personne privée de liberté sera considérée comme un prisonnier politique si sa détention s’est faite en violation d’au moins une des garanties fondamentales établies dans la Convention Européenne de Droits de l’homme, spécialement celles qui font référence à la liberté de pensée, de conscience et religion, la liberté d’expression et d’information, ou la liberté de réunion et association; si sa détention s’est imposée pour des raisons politiques et sans aucune relation avec un délit; si, pour des motifs politiques, la durée de la détention ou ses conditions sont disproportionnées en relation avec l’infraction commise (…) ; si, pour des motifs politiques, la personne en question a été détenue de façon discriminatoire en comparaison avec d’autres personnes; ou si la détention est le résultat d’une procédure clairement injuste qui semble être liée à des motifs politiques des autorités”.
Amnesty international se refuse à employer le terme prisonnier politique qui est selon l’ONG « un terme trop vague et général selon le pays auquel le terme se réfère. Amnesty international préfère le terme prisonnier de conscience. Il s’agit de personnes qui sont empêchées physiquement, via la prison ou d’autres façons, d’exprimer leurs opinions”.
Selon l’Europe, il n’y a pas de prisonniers politiques en Espagne
Dans le cas de la Catalogne, le Conseil de l’Europe estime qu’on ne peut pas parler de prisonniers politiques. Le 11 septembre dernier, le secrétaire général du Conseil européen s’est montré très clair : « les tribunaux espagnols traitent l’affaire de la Catalogne conformément au droit national et en accord avec la Convention européenne des droits de l’homme ».
Dans sa thèse Les prisonniers indépendantistes sont-ils des prisonniers politiques le journaliste Bernat Surroca a interviewé la professeure de Droit Constitutionnel Mercè Barceló qui contredit le secrétariat général du Conseil européen. La professeure soutient que les indépendantistes sont des prisonniers politiques parce qu’ils entrent dans quatre des cinq critères qu’établit le Conseil de l’Europe. En premier lieu Barceló argumente que dans les cas de Jordi Sànchez, Jordi Cuixart (responsables associatifs) et Carme Forcadell (présidente du Parlement lors des faits), les détentions ont eu lieu en violant la liberté d’expression et de réunion.
Ensuite, Merce Barceló défend que le récit des faits du juge instructeur, Pablo Llarena, contient une vision politique lorsqu’il affirme qu’il y a eu des violences et un soulèvement en Catalogne. Enfin, Barceló pense que la prison préventive viole la jurisprudence du Tribunal constitutionnel qui établit la détention préventive comme dernière option.
Amnesty International prudente
Amnesty International a séparé les prisonniers catalans en deux catégories distinctes. Les leaders associatifs d’un côté et les anciens ministres de l’autre.
La manifestation du 20 septembre 2017 devant le ministère de l’Économie qui a conduit les « Jordis » derrière les barreaux est protégée par le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, explique Amnesty international. Pour cette raison l’ONG considère que les charges retenues de rébellion et sédition ainsi que l’usage de la prison préventive “sont des délits disproportionnés qui supposent une violation des droits de l’homme”.
Cependant Amnesty ne considère pas (encore) les Jordis comme des prisonniers politiques. Prudente, l’ONG demande d’attendre que la sentence soit rendue pour constater si les charges de rébellion et sédition sont finalement retenues.
Concernant le gouvernement Puigdemont, Amnesty International considère qu’il est possible que des délits furent commis, le président et les ministres ayant agi à l’encontre d’une sentence du Tribunal constitutionnel qui interdisait la célébration du référendum. Dans ce cas, l’ONG refuse l’appellation de prisonniers politiques.
Mais c’est justement parce que les délits sont directement contre l’État que ce sont des prisonniers de nature politique selon le magistrat émérite du Tribunal Suprême José Antonio Martín Pallín: « les délits de rébellion et sédition sont des délits contre les institutions politiques de l’État ». Ce sont des délits politiques et donc des prisonniers politiques selon Martín qui estime que l’on classe toujours les auteurs selon les délits correspondant au code pénal en prenant l’exemple des délinquants sexuels.
La position des médias
Les médias sont également divisés sur le vocabulaire. Le service publique catalan, TV3 et Catalunya Radio, sont dans l’œil du cyclone, accusés de parti pris par les indépendantistes comme les unionistes. On apprend dans la thèse de Bernat Surroca que TV3 a ouvert un débat intense sur l’utilisation des termes les plus transversaux possibles. Ce débat au sein du conseil de rédaction s’est déroulé avec l’assistance d’experts dans le but de prendre une décision basée exclusivement sur des critères journalistiques.
Au cours des derniers mois, TV3 a utilisé les formules “prisonniers indépendantistes”, “prisonniers du référendum” ou “prisonniers du procès”.
Au niveau de la presse, les deux plus grands tirages papier de Catalogne La Vanguardia (centre-droit catalaniste) et El Periódico (centre-gauche socialiste) n’utilisent jamais les termes prisonniers politiques. Les deux quotidiens parlent de « leaders indépendantistes prisonniers” ou “politiciens prisonniers”. Les deux autres journaux catalans, Ara (gauche souverainiste) et El Punt Avui (gauche indépendantiste), emploient eux systématiquement le terme prisonniers politiques.
Concernant la presse en ligne catalane, presque exclusivement indépendantiste, la formule prisonniers politique s’impose dans les colonnes de Vilaweb, El Nacional, El Món, Directe, La República et Nació Digital pour ne citer que les principaux. Seuls les unionistes Metrópoli Abierta et Crónica Global (édition numérique locale du conservateur El Español) emploient politiques prisonniers.
En Espagne, aucun média d’envergure nationale n’utilise le terme de « prisonniers politiques ». En revanche, la presse la plus à droite et conservatrice comme les journaux ABC et La Razón utilisent l’expression « golpistas » c’est-à-dire « putschistes » ou auteurs d’un coup d’État.
A l’international, tous les médias n’agissent pas de la même manière. Aux Etats-Unis, The New York Times utilise quelquefois, mais pas systématiquement, l’expression prisonniers politiques. En Angleterre, The Guardian a choisi « leaders catalans emprisonnés » tandis que Le Monde en France a banni l’expression « prisonnier politique ».
A Equinox, nous n’avons jusqu’ici jamais utilisé l’expression de prisonniers politiques. Média français à Barcelone, généraliste et non partisan, nous avons choisi les termes les plus neutres possibles comme leaders catalans emprisonnés ou politiques prisonniers. L’expression « prisonniers politiques » nous est apparue dans un premier temps trop militante par rapport à la ligne neutre d’Equinox. Tout comme l’expression outrancière de putschistes est bannie de nos colonnes. Ceci étant dit, la durée extraordinaire de la détention préventive (plus de 15 mois dans certains cas) et la lourdeur des peines demandées par le parquet (jusqu’à 25 ans d’incarcération) pourra faire évoluer notre vocabulaire dans certains articles possédant un angle très précis.