Sergi Sol est l’une des têtes pensantes du parti indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya (ERC). Sol vient de publier aux éditions Ara un ouvrage relatant les événements de l’automne 2017. « Fins que siguem lliure » narre les longues journées et les courtes nuits qui menèrent au référendum, à la déclaration d’indépendance et finalement à la prison avec le focus sur la personne d’Oriol Junqueras. Un ouvrage glaçant par son réalisme.
Sergi Sol est l’un des bras droits de l’ancien vice-président de la Catalogne. L’homme nous reçoit au siège de la vice-présidence du gouvernement catalan où il occupe aujourd’hui le siège de conseiller politique au sein du cabinet du ministre de l’Économie Pere Aragonès. Dans l’imposant et austère bâtiment de la Rambla Catalunya, l’ambiance est lourde. A l’entrée du ministère, un tableau géant avec le portrait en noir et blanc d’Oriol Junqueras, accompagné d’un compteur, rappelle que le chef de la vice-présidence est derrière les barreaux depuis 395 jours. Dans la bâtisse, la présence de l’absence de Junqueras est notable.
L’angoisse de l’auteur de « Fins que siguem lliure » est toujours très palpable dans son bureau avec vue sur la Rambla de Catalunya. On peut disséquer l’essai en trois grands axes: la personnalité d’Oriol Junqueras, le plaidoyer politique pour refuser les listes unitaires aux prochaines élections et des détails sinistres lors des mises en détention des ministres que l’on ne connaissait pas jusqu’ici.
Au fil des pages
Dans le livre, Oriol Junqueras est décrit comme un sympathique père de famille, travaillant de manière collective avec sa garde rapprochée et éloignée du protocole qui règne dans le monde post-Convergencia autour de la figure des présidents: Artur Mas, Carles Puigdemont et Quim Torra.
Dans l’argumentaire contre la liste unique du souverainisme, dans l’ordre des choses évoquées par Sergi Sol, Esquera Republicana Catalana est la colonne vertébrale du futur de l’indépendantisme. Sol plaide pour un souverainisme incluant les diversités sociologiques de la société catalane, la modération et mettre en pause les politiques unilatérales. Il est particulièrement critique envers l’extrême gauche indépendantiste de la CUP qui ne propose que des choix qui font perdre selon lui le camp souverainiste.
Le troisième angle du livre est sans nul doute le plus lugubre. Avec l’ouvrage de l’ancien ministre de l’Intérieur Joaquim Forn « Escrits de presó », les pages de Sergi Sol sont celles qui décrivent le plus crûment les scènes d’arrestation et le quotidien des ministres prisonniers.
Glacial
La gravité des événements commence le 1er novembre dans la nuit. Tous les membres du gouvernement Puigdemont encore présents sur le territoire espagnol doivent passer devant la juge Carmen Lamela à Madrid. Chaque ministre voyage dans une voiture particulière. Oriol Junqueras est le premier parti. A hauteur de Saragosse dans la nuit noire, l’ancien vice-président sait qu’il ne rentrera pas chez lui en Catalogne et qu’un séjour en prison l’attend. A son chauffeur, il demande de quoi écrire pour laisser une dernière note à son épouse, avant de se retrouver derrière les barreaux. Son assistant essaie de le réconforter, lui répondant qu’il n’ira pas en prison. Junqueras devient très ferme: « on ne doit pas se mentir, je vais être emprisonné ». En effet, 24 heures plus tard, le leader indépendantiste dormira dans la cellule du centre pénitentiaire de Estremera dans la banlieue de Madrid.
La comparution des ministres de Carles Puigdemont devant la juge Lamela, expliquée par Sergi Sol, est particulièrement oppressante. Après le verdict annonçant l’emprisonnement préventif immédiat, un policier passe les menottes au ministre des Affaires extérieures Raül Romeva lui attachant les bras derrière le dos. L’homme politique argue qu’il est possible de le menotter sans l’attacher par l’arrière. L’agent lui rétorque que c’est la procédure et qu’il n’y a pas de traitement de faveur. Face aux protestations de l’ancien ministre, le policier lui serre les menottes au maximum pour lui provoquer une douleur aux poignets. Comme dans les films.
A la sortie du tribunal, le gouvernement destitué se verra confisquer ses affaires personnelles. L’absence de lunettes, les mains menottées dans le dos, secoués dans un fourgon sans ceinture signent un trajet compliqué pour les anciens ministre. L’ex porte-parole Jordi Turull devra passer les premières nuits sans son appareil qui l’aide à respirer durant son sommeil, nous apprend le livre de Sergi Sol.
De Madrid à Barcelone
L’auteur narre également le transfert de Madrid en Catalogne l’été dernier, quand l’autorité pénitentiaire accepte de rapprocher les prisonniers de leur famille. Pour des raisons de sécurité, Junqueras et les anciens membres du gouvernement ne connaissent pas l’itinéraire les conduisant de Madrid à Barcelone, ni le nombre de jours qu’ils seront sur la route au gré des détours. Sergi Sol explique que Junqueras est courbé dans une fourgonnette qui mesure un mètre et cinquante centimètres de hauteur. L’ancien président peut discerner les paysages à travers une fente du camion, il raconte à ses compagnons de galère les paysages qu’il voit. Il croit reconnaître la région d’Aragon. Tous passeront la nuit, dans une geôle crasseuse. Deux jours de voyage plus tard, Junqueras arrivera finalement en Catalogne à la prison de Lledoners.
Retour au ministère de l’Économie où l’auteur du livre répond à nos questions: relations entre les partis indépendantistes, municipales de Barcelone et le pluralisme de la société catalane. Sur Equinox Radio, Sergi Sol affirme qu’Oriol Junqueras voit son futur derrière les barreaux, en attendant que, d’ici quelques années, le tribunal européen de Strasbourg juge en appel la déclaration unilatérale d’indépendance du 27 octobre 2017.