Dans son bureau du Palau Robert, le 129e président de la Catalogne Artur Mas reçoit Equinox pour commenter le processus indépendantiste quatre ans après la consultation populaire qu’il avait organisée. L’ancien président revient à froid sur les événements de l’automne passé.
Photos: Astrid Bosch Miskovic/Equinox
Nico Salvado : Les municipales de Barcelone sont compliquées pour vous: les indignés de Podemos, Manuel Valls et Maragall, un nom avec lequel vous n’êtes pas forcément ami, pour qui allez-vous voter ?
Artur Mas : Ada Colau a été élue dans une période très compliquée, mais la sensation que nous avons c’est qu’elle n’a pas réussi à résoudre les problèmes de Barcelone. Le logement était le principal problème, or il est beaucoup plus cher qu’avant son arrivée au pouvoir. Pourtant, c’était son principal message à l’époque et Ada Colau a échoué.
Ernest Maragall, il appartient à ce monde en faveur de l’indépendance de la Catalogne mais je le vois comme une personne plus du passé que de l’avenir. Je l’apprécie personnellement, mais c’est une personne qui a davantage sa place dans la municipalité de Barcelone des années 80 et 90 du siècle dernier qu’aujourd’hui.
Et quant à notre ami Manuel Valls, c’est assez curieux qu’il y ait des personnes qui aient envie de voter pour lui à Barcelone, quand on sait qu’il n’a pas eu beaucoup de succès dans la politique française au cours de ces dernières années. Dans son propre parti politique, presque personne n’a voté pour lui, c’est un peu curieux de penser qu’un candidat pourrait gagner à Barcelone quand en France quasiment personne ne vote pour lui.
Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy, sont des hommes politiques dont vous auriez pu être proche, aucun ne vous a pourtant soutenu, comment le vivez-vous?
Je le vis d’une façon assez normale parce que je sais très bien ce qu’être président de la République française signifie.
Quand un territoire comme la Catalogne se bat pour l’indépendance, c’est plutôt normal qu’il y ait un certain rejet ou une indifférence de la part de la République française. Je le comprends politiquement, mais je demande à ce que les Français y pensent, parce qu’en définitive la Catalogne aspire à être une République comme la France, à être un pays libre comme la France, à être un pays avec des valeurs républicaines comme la France et à être un pays de l’Union européenne comme la France. La question est: si la France peut être un pays souverain et indépendant, pourquoi la Catalogne, si une majorité de la population le veut, ne peut pas l’être ?
Pourquoi depuis des années que l’on entend ce discours, n’y a-t-il pas eu de réaction en France?
Il y a des gens qui commencent à réagir et je souhaite que la première réaction vienne d’en bas, vienne des citoyens. C’est assez normal qu’en démocratie les gouvernements et les hommes politiques changent ou adaptent leur opinion en fonction des mouvements populaires.
Le 27 septembre 2015 vous disiez au journal italien Corriere della Sera, “dans mon bureau, j’ai toujours une enveloppe avec à l’intérieur la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI).” Vous ajoutiez “nous ne voulons pas l’utiliser, mais j’ai toujours l’enveloppe.” En fait cette enveloppe ressemble à la mallette des codes nucléaires en France. La déclaration d’indépendance c’était une bombe nucléaire, on fait quoi maintenant qu’elle a explosé ?
Je ne dirai pas que c’est une bombe nucléaire, mais nous sommes arrivés à un point où c’est extrêmement difficile de retrouver les choses telles qu’elles étaient avant la DUI. Dans mes pensées à l’époque, j’avais toujours en tête que la DUI devait être accompagnée d’élections. Car c’est le seul chemin légal que nous avons comme institution catalane pour ratifier une DUI. Le message est très clair, si vous n’acceptez pas d’organiser un référendum, acceptez de faire des élections au Parlement catalan.
Est-ce que PDeCAT et ERC se sont laissés entraîner par la CUP? Il n’y avait que les députés de la CUP qui souriaient le 27 octobre 2017.
La CUP a eu beaucoup de pouvoirs, mais surtout beaucoup de responsabilités qu’ils n’ont pas toujours su exercer. Je pense qu’ils n’étaient pas préparés pour exercer une telle responsabilité. Mais ERC a aussi poussé dans le même sens que la CUP, même si aujourd’hui ils ont beaucoup changé. Il y avait deux sentiments à Esquerra Republicana, le premier était de faire la DUI mais le second, c’est qu’ils savaient que celle-ci n’aurait aucune valeur légale. La seule façon de neutraliser cela c’était de faire ce que j’avais proposé: une DUI et la faire suivre d’élections, cela a été refusé. Au final, les élections se sont faites quand même, mais avec un détail ironique dans l’histoire: c’est le président du gouvernement espagnol qui les a convoquées. La question n’était pas de savoir s’il allait y avoir des élections, mais qui allait les convoquer: le président espagnol ou le président catalan.
La CUP a été très dure avec vous, peut-être trop dure même. Qu’est-ce que vous avez envie de dire à Anna Gabriel maintenant qu’elle s’est exilée en Suisse ?
La seule chose que je voudrais partager avec Anna Gabriel c’est que maintenant, avec le regard qu’elle peut avoir sur les deux ou trois dernières années, elle réfléchisse. Toutes les décisions prises par la CUP étaient-elles dans l’intérêt général du pays ? Et deuxièmement, si ces décisions étaient bien pensées pour le succès de l’indépendance de la Catalogne.
Certains observateurs opinent que le 9 novembre 2014, une consultation populaire sur l’indépendance de la Catalogne sans valeur légale, avait justement pour but que la Generalitat n’organise pas un jour un référendum unilatéral, êtes-vous d’accord avec cette lecture ?
Un référendum unilatéral c’est toujours difficile à faire car c’est l’Etat espagnol qui contrôle tout. Ce n’est pas un référendum avec des conséquences légales claires car il y a toujours une partie de la Catalogne qui refuse ces référendums, en disant qu’ils sont hors des cadres légaux.
Est-ce qu’il y a un mandat démocratique du 1er octobre comme le disent Carles Puigdemont et Quim Torra ?
Oui, car il y a 42% des Catalans qui ont participé et vous savez que dans les normes internationales de référendum il n’y a pas de minimum requis. Il y a une tendance générale à ne pas mettre un niveau de participation minimum, sinon les opposants pourraient boycotter. Alors que si vous décidez de ne pas aller voter, vous ne participez pas à la question.
Vous regrettez que Carles Puigdemont soit devenu président ?
Pas du tout. Carles Puigdemont est une personne qui a démontré un courage admirable, mais il est resté un peu seul, dans les heures les plus importantes, les plus décisives. Madrid l’a abandonné, il n’y a pas eu de vision d’État à Madrid et en plus, les alliés en Catalogne n’étaient pas extrêmement solides pour des décisions qui étaient très difficiles et qui comportaient un rejet d’une importante partie de la population catalane.
Les indépendantistes les plus fermes comme Puigdemont, Rull et Turull sont en prison. Mais les centristes, les modérés comme vous, ont été condamnés pour le 9 novembre, vous êtes inéligible et avec une lourde amende. À la surprise générale Santi Vila, ministre de Puigdemont qui a démissionné avant la déclaration, se retrouve menacé de 11 ans de prison. Finalement il n’y a aucune voie possible en Espagne pour une feuille de route indépendantiste qui ne passe pas par la réponse judiciaire.
C’est dramatique qu’une bataille sur les idées politiques doivent se résoudre dans un tribunal par la voie pénale, c’est une erreur. Il devrait y avoir en Espagne des hommes politiques qui pensent politiquement à une solution politique pour la Catalogne, mais ça on n’en trouve pas. Je pense que le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez ne trouve pas de solution politique ou alors il n’a pas le courage de la chercher.
L’histoire est-elle injuste avec Jordi Pujol ?
Effectivement oui, mais l’histoire doit encore s’écrire dans le cas de Jordi Pujol. Lorsque l’histoire s’écrit entièrement, peut-être elle sera dans quelques années bienveillante avec Jordi Pujol.
Allez-vous revenir à la présidence de la Catalogne ?
C’est une question très intéressante à laquelle je ne peux pas répondre pour le moment. Comme vous l’avez dit, je suis inéligible à l’heure actuelle. Je ne suis pas seulement conscient mais aussi responsable de la situation actuelle de la Catalogne donc ma réponse ne peut pas être « je ne pourrais jamais revenir à cette ligne politique ».