Dans son dernier livre Carles Puigdemont affiche un nouveau visage : diplomate, lisse et modéré.
« La Crisi Catalana, una oportunitat per a Europa » (La crise Catalane, une opportunité pour l’Europe) aux Editions La Campana ressemble à un livre écrit par Dominique de Villepin ou Alain Juppé devenus indépendantistes. Le leitmotiv (la Catalogne doit devenir un État indépendant et souverain) reste bien sûr la base du programme de Carles Puigdemont. Mais l’angle, la forme et les contours sont sensiblement différents de la prose habituelle de l’ancien locataire du Palais de la Generalitat.
Les 238 pages, co-écrites avec le journaliste belge Olivier Mouton, sont le croisement entre une autobiographie, un livre-programme présidentiel et une dissertation philosophique.
Dans la première partie de l’ouvrage, Carles Puigdemont revient sur son enfance dans la province gironaise. A la naissance, il s’appelait Carlos. En 1962, les lois franquistes étaient encore en vigueur et prohibaient les prénoms catalans. Carles Puigdemont a vécu sa primo-adolescence sous la dictature. Préambule intéressant pour un public européen (le livre est traduit en anglais et français) qui est majoritairement né dans des environnements démocratiques. La croissance du jeune Carles dans la bulle autoritaire du franquisme et du post-franquisme explique en partie ce besoin permanent de revendication et de lutte pour les libertés.
Dans son livre, Puigdemont insiste sur le fait que dès sa plus jeune adolescence il fut épris des valeurs de non-violence, pacifisme, écologie et anti-racisme.
Pour assouvir sa soif de libertarisme , Puigdemont crée un journal en catalan : El Punt. L’ancien président revendique une large part d’anarchisme dans sa personnalité. « Comme tous les Catalans, car la Catalogne ne se reconnaît pas dans l’état espagnol depuis 1714 ».
Dans son livre qui sur quelques pages prend la forme d’un programme politique, Carles Puigdemont détaille d’une manière toujours consensuelle l’ADN de la nation catalane : pacifique ; portée sur le développement durable, le recyclage; l’énergie solaire; le rôle citoyen participatif; le digital; dans le libertarisme pur. En Catalogne il ne sera pas puni par la loi de brûler un drapeau catalan ou de siffler l’hymne nationale.
Pour l’ancien maire de Gérone, les vieux États européen conquis à coups de canon lors des guerres doivent aujourd’hui être redistribués. « Ce ne sont plus les guerres, ou le droit divin qui dessinent les frontières, ce sont les peuples vivant dans ces pays qui doivent choisir quel doit être leur État » martelle Carles Puigdemont.
Dans une comparaison singulière, Puigdemont opine « qu’aujourd’hui, dans les démocraties occidentales un homme peut devenir une femme en modifiant son sexe, mais un Espagnol ne peut pas devenir un Catalan en changeant de nationalité ».
Hauteur
Rares sont les dirigeants politiques de premier plan à avoir couché par écrit le récit des événements de l’automne 2017. Si une pléiade de journalistes ont sorti leurs ouvrages, du point de vue gouvernemental seuls Carles Puigdemont et l’ancien ministre de l’industrie Santi Vila ont envoyé leurs manuscrits à l’imprimerie. A l’exception du remarquable ouvrage de l’ancien ministre de l’interieur Joaquim Forn qui se place dans un autre registre, celui du journal intime crcėral. L’oeuvre de l’ex-président prend davantage de hauteur que celle de son ancien ministre Vila. Carles Puigdemont nous a épargné les règlements de compte internes politico-politiciens en écrivant du mal de ses amis, comme s’en délecte dans son ouvrage Santi Vila.
Quand Carles Puigdemont tacle au fil de ses pages, il le fait au sein la sphère internationale, histoire de se donner une carrure de chef d’État. Selon le leader catalan, si l’Europe est mal en point, c’est que l’esprit démocrate-chrétien insufflé par les pères fondateurs de l’Union (Alcide de Gasperi, Robert Schuman, Jean Monnet et Konrad Adenauer) s’est perdu au fil des années. Carles Puigdemont a identifié les responsables : les dirigeants qui ont déporté le discours vers une « droite populiste » c’est-à-dire José-Maria Aznar, Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy. Dans l’esprit de l’ancien président de la Catalogne, si l’Europe était resté dans un cadre plutôt centriste et humaniste, il y aurait eu une vague de soutiens contre l’Espagne et ses « prisonniers politiques ». Carles Puigdemont dresse autant de louanges à François Mitterrand et Helmut Kohl qu’il méprise Emmanuel Macron. Pour Carles Puigdemont, l’actuel chef de l’Etat français « reste un inconnu » qui s’allie avec Ciutadans, le parti nationaliste le plus fanatique d’Espagne.
Dans son livre, l’ancien président de la Generalitat ne demande pas à l’Europe de soutenir le projet d’indépendance de la Catalogne. Au moins de condamner la répression espagnole et d’ouvrir un débat sur le droit des peuple à l’autodétermination. Schuman, Mitterrand, Kohl auraient-ils été de meilleurs avocats que Macron, Merkhel, Juncker? Il est toujours délicat de céder à la tentation de faire parler les morts.
Voulant s’adresser aux citoyens européen principalement, Carles Puigdemont opte pour un ton, des propos, un discours plus large qu’à l’accoutumée, évitant les polémiques politico-politiciennes. Bien que resté uniquement 18 mois au pouvoir, Puigdemont signe un livre qui se veut dans le style d’un chef d’État.