A l’occasion du premier anniversaire des lois de déconnexion qui ont marqué les 6 et 7 septembre 2017 le début de l’emballement indépendantiste, Equinox laisse ses colonnes à deux avocats catalans. Tribune libre de Quim Jubert, avocat au barreau de Barcelone.
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Le 8 septembre, 2017, le Parlement catalan approuva avec une majorité, de 72 voix sur 135, la « Llei de Transitorietat Juridica i fundacional de la Républica » (loi pour la transition juridique) qui devait fournir l’instrument garantissant, dans le cas où le référendum du 1er octobre convoqué par le gouvernement catalan révélerait une majorité favorable à l’indépendance, qu’il n’y aurait pas de vide juridique mais une transition ordonnée des anciennes lois vers les nouvelles. Son objectif était de garantir la sécurité juridique, ainsi qu’une succession ordonnée des administrations et des services publics pendant le processus de transition de la Catalogne jusqu’à ce qu’elle devienne un État indépendant.
La loi susmentionnée sur le transit juridique, également appelée de « déconnexion », fixe une période de transition d’un an pour élaborer une Constitution pour le nouvel État (qui devrait être approuvée par référendum au 3/5 du Parlement) et convoquer les premières élections d’une République catalane. Ainsi, après un résultat favorable, les électeurs devraient retourner trois fois aux collèges; lors d’élections constituantes, lors d’un référendum sur la nouvelle Constitution et lors des premières élections de la République. Pendant la période de transition, les lois de l’UE, les traités internationaux ainsi que toutes les lois de l’État qui ne contredisent pas la loi catalane sur le transit juridique, resteraient en vigueur.
Dans un exercice post-vérité les forces loyalistes (PP, CS et PSOE) ont articulé un récit de « coup d’Etat parlementaire » aux actions du Parlement catalan les 6 et 7 septembre. Ce que fit la majorité fut de réduire les temps de lecture d’une proposition législative en modifiant le règlement du Parlement. Cela a été fait afin d’empêcher le gouvernement du PP, comme il l’avait fait avec 25 autres lois approuvées, de bloquer la loi moyennant un appel à la Cour constitutionnelle. La réalité fut un débat intense et amer de plus de onze heures et l’exercice de l’obstructionnisme parlementaire par la minorité qui versa sur les questions réglementaires, plutôt que sur le contenu des lois à passer.
L’exercice de bloquer les initiatives parlementaires de la part des minorités sous forme de retards, de suspensions ou obstructionnisme n’est pas un fait rare aux coutumes des parlements démocratiques européens, bien que moins fréquentes en Espagne de par le système électoral et la configuration des majorités et des minorités. Face aux menaces du gouvernement de l’Espagne afin d’éviter par tous les moyens la tenue d’un référendum, le Parlement a décidé de modifier le règlement, à l’effet de réduire les délais et faire une lecture unique, un mécanisme qui existe au sein du Congrès des députés, mais qui jusque-là n’avait pas été utilisé au Parlement. Ces modifications ont ensuite été validées par la décision de la Cour constitutionnelle, bien que ce fait est généralement ignoré par les forces loyalistes dans leur récit de ces jours.
Les politiciens loyalistes se sont plaints du fait que les lois ont été approuvées à la majorité absolue des voix des parlementaires élus lors des élections de septembre 2015. Élus sur des listes dont les programmes électoraux se sont engagés à réaliser, ce qui est effectivement fait. Le seul argument des loyalistes qu’il convient de considérer est de savoir si de telles lois pouvaient être approuvées à la majorité absolue ou si elles auraient dû être renforcées par la majorité des deux tiers, étant donné que l’Estatut ou la Constitution exigent de telles majorités pour leur réforme. Mais dans un tel cas, il n’est pas possible d’ignorer que la route qui a conduit les forces indépendantistes à choisir cette voie n’a pas été choisie, mais elle leur a été imposée comme la seule possible face au refus absolu du dialogue des institutions espagnoles et les pratiques obstructionnistes des forces politiques qui les représentent. L’unilatéralisme est devenu le seul moyen d’aboutir à 18 demandes d’un référendum, qui ont à chaque fois obtenu une seule réponse le non, à l’impossibilité dans le cadre de la Constitution espagnole ou du moins dans son interprétation actuelle par les juges qui composent actuellement la Cour constitutionnelle.
Après la proclamation d’indépendance fin octobre de l’année dernière, l’application de l’article 155 de la Constitution comme un vrai coup d’Etat constitutionnel, la répression judiciaire sévère qui a conduit en prison neuf dirigeants politiques dans l’attente de jugement et à l’exil huit autres, et plus de 1000 personnes mises en examen (parmi lesquels 720 maires), la Catalogne est entrée dans une période d’exception. L’autonomie de la Catalogne a été suspendue, les élections au Parlement de la Catalogne qui ont eu lieu le 21 décembre ont redonné la majorité aux forces indépendantistes, après plusieurs tentatives du Parlement d’élire un président de la Generalitat proposé par la majorité parlementaire, l’article 155 fut levé et la perte du gouvernement de l’État par le PP après une motion de censure qui a certainement trouvé sa cause dans les abus de pouvoir et la piteuse gestion de la situation catalane.
La société catalane a été profondément bouleversée par les événements de l’automne dernier, mais il ne sera pas possible de reporter indéfiniment la recherche d’une solution au conflit auquel l’Espagne est confrontée. Selon tous les sondages, qui se répètent au fil du temps, plus de 70% de la population catalane n’approuve pas les moyens de répression utilisés par l’Etat à sa politique et un rapport égal ou supérieur souhaite encore se prononcer sur l’indépendance par un référendum.
Le « problème catalan », le « procès » ou l’aspiration à l’indépendance de plus de deux millions de citoyens n’est pas un fait nouveau, ni un soufflé que l’on peut attendre qu’il se dégonfle par le passage du temps, c’est une aspiration vieille de 150 ans, exprimée de différentes manières et la réponse de l’Espagne a toujours été l’incompréhension, le mépris, la répression ou l’ignorance de cette réalité, sans trouver de formule (fédérale, confédérale, État associé) dans sa conception de la nation espagnole, qui n’admet pas de différence.
Dans une Europe où les principes de transparence et les valeurs de justice et de coopération sont ceux qui répondent à un large consensus, peut-on maintenir dans l’un des pays les plus peuplés, une situation de la démocratie « contrôlée » sans un pouvoir judiciaire indépendant? L’Espagne peut-elle être assimilée à la Turquie ou à la Russie (hors UE) ou aux dérives autoritaires de la Pologne ou de la Hongrie en son sein? Pendant combien de temps?
TRIBUNE LIBRE : LES PROPOS N’ENGAGENT QUE SON AUTEUR, NON LA RÉDACTION D’EQUINOX