Carles Puigdemont et un certain secteur de l’indépendantisme misent sur une pression maximale à partir du 11 septembre.
« Nous avons une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre ». Les paroles sont du président du Conseil pour la République, Carles Puigdemont, et la période opportune commencera le 11 septembre prochain pour durer jusqu’au moins le 3 octobre.
L’opération des ancien et actuel présidents de la Catalogne Carles Puigdemont et Quim Torra est de pousser au maximum l’État espagnol dans les cordes afin d’arriver le plus loin possible dans la nouvelle feuille de route conduisant à la République catalane. Le coup d’envoi sera donné le 11 septembre prochain à l’occasion de la Diada, la fête nationale catalane, où traditionnellement des centaines de milliers de Catalans descendent dans la rue pour réclamer l’indépendance du pays.
Depuis 2012, la Diada rythme le processus indépendantiste. En 2014, la manifestation fut le prélude à la consultation populaire séparatiste du 9 novembre; en 2015 la Diada précédait les élections donnant la majorité indépendantiste au parlement catalan et en 2017 la fête nationale fut le moment où la tension est sérieusement montée entre les exécutifs catalans et espagnols. 56 jours plus tard, l’indépendance était proclamée unilatéralement. Cette année, l’objectif de la manifestation est de pousser le gouvernement Torra à concrétiser la proclamation d’indépendance. La tension sera exceptionnelle, car c’est la première fois que la fête nationale aura lieu alors que des hommes politiques indépendantistes sont incarcérés.
Regrets
Carles Puigdemont s’en veut terriblement de ne pas avoir proclamé l’indépendance le 3 octobre dernier. Les plans initiaux du secteur souverainiste étaient de faire la proclamation d’indépendance 48 heures après le vote, selon l’adage « il faut battre le fer tant qu’il est chaud ». Avec le succès de mobilisation du référendum, l’indignation internationale suite aux violences policières espagnoles et le pays en grève générale le 3 octobre, Puigdemont pense avec le recul que c’était le bon moment. Cependant, le premier ministre de l’époque Mariano Rajoy avait menacé en privé le gouvernement catalan de faire intervenir l’armée espagnole en cas de déclaration d’indépendance. De nombreux services secrets dans le monde entier envoient le même jour à leur gouvernement respectif une alerte majeure sur un déclenchement possible d’une guerre civile en Espagne. Sur le moment, Carles Puigdemont n’a pas voulu avoir de sang innocent sur les mains, il a donc fait marche arrière.
Aujourd’hui il pense l’inverse. Non pas que l’actuel président du Conseil pour la République souhaite qu’il y ait des morts pour la cause indépendantiste. Puigdemont se déclare plutôt convaincu que l’Union Européenne aurait été obligée d’intervenir pour justement empêcher un conflit armé.
Espoirs
Un an plus tard, Carles Puigdemont pense pouvoir corriger la feuille de route à l’occasion des anniversaires politiques. Après la fête nationale du 11 septembre, il y aura la commémoration du référendum du 1er octobre, de la grève générale le 3, l’incarcération des leaders indépendantistes « les Jordis » le 16, la déclaration d’indépendance le 27, puis la mise en détention et l’exil du gouvernement catalan le 2 novembre.
Autant de dates que de tensions prévisibles dans la rue. Le procès des leaders incarcérés devrait commencer quelques semaines plus tard avec les rues catalanes chauffées à blanc.
Dilemmes
Les Comités de Défense de la République (CDR), ces groupuscules très actifs et ultra mobiles qui organisent fréquemment dans les rues de Catalogne des manifestations et opérations coups de poings en faveur de l’indépendance, seraient particulièrement préparés pour les événements. Certains évoquent des occupations des mairies et institutions pendant des semaines. Des actions qui placeraient de nouveau la police catalane dans une situation délicate. Quim Torra devra choisir entre « trahir » le fameux mandat du 1er octobre, en refusant de donner vie à la République et en respectant les lois espagnoles, ou pousser les limites au maximum comme son prédécesseur et prendre le risque de subir les foudres judiciaires de l’Espagne. Le nombre de manifestants dans la rue sera déterminant pour dicter la ligne de conduire de l’exécutif. Le mouvement citoyen sera le coeur de la protestation, se plait à répéter Quim Torra.
Les plus jusqu’au-boutistes sont les membres de l’Assemblea Nacional Catalana (ANC) qui organisent la Diada du 11 septembre. L’association, dont l’ancien leader Jordi Sanchez est incarcéré, diffuse une vidéo dans laquelle des citoyens ne veulent plus avoir leurs voix étouffées, et sont donc determinés à faire respecter le oui référendaire qui a gagné le 1er octobre dernier.
Les fameux CDR, le parti d’extrême-gauche La Cup et l’entourage de Carles Puigdemont, direct et indirect, sont les plus motivés pour aller au clash frontal avec l’Etat espagnol. En revanche le parti de gauche indépendantiste ERC est plutôt favorable à la voie du pragmatisme. ERC a noué une certaine complicité avec le parti socialiste actuellement au pouvoir en Espagne. Avant toute nouvelle tentative politique unilatérale, le parti pense qu’il faut élargir la base sociale et dépasser les 50% dans une élection, seuil qui pour le moment n’a jamais été atteint par l’indépendantisme. Carles Puigdemont, dans un sens contraire, estime qu’en mettant la pression maximale à l’Espagne, il est possible de forcer les choses. C’était certes plus facile de faire monter la pression avec le Partido Popular de Mariano Rajoy.
En automne, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez va vivre sa plus grande crise politique et jouer sa carrière politique. Carles Puigdemont, lui, n’a plus grand-chose à perdre.