Pour la première fois dans l’histoire de la démocratie espagnole, un président de gouvernement est destitué.
Une coalition hétérogène s’est formée contre Mariano Rajoy: les socialistes, la gauche radicale de Podemos, les indépendantistes catalans et les nationalistes basques. Le Parlement a voté ce matin, peu après 11h, la destitution de Mariano Rajoy, seul son propre mouvement le Partido Popular et les libéraux de Ciutadans n’ont pas voté contre lui.
L’Espagne en est arrivée à cette situation extrême après qu’une sentence accablante pour le parti de Mariano Rajoy ait été rendue jeudi dernier. D’anciens ténors du Partido Popular (PP) ont été condamnés à des dizaines d’années de prison pour avoir monté un réseau de corruption qui fonctionnait dans les régions où le parti conservateur était au pouvoir dans les années 2000.
La loi prévoit que le dépositaire de la motion de censure devienne le nouveau président: en l’espèce, le socialiste Pedro Sánchez devient donc le nouveau chef de gouvernement espagnol. Il sera nommé par le roi Felipe VI dans les prochaines heures.
Mariano Rajoy : la chute d’un survivant
Mariano Rajoy est dans le jeu politique espagnol depuis la restauration de la démocratie. Aucune idéologie politique précise ne peut décrire celui qui fut à 24 ans le diplômé le plus jeune d’Espagne dans le domaine de la gestion immobilière publique.
Mariano Rajoy a failli mourir une première fois dans un accident de la route, en s’assoupissant au volant de sa Seat 127 qui s’est écrasée dans un ravin près de Lugo en Galice. En se réveillant à l’hôpital, le jeune Rajoy a déclaré qu’il n’oublierait jamais le visage de la personne qui est venue le secourir. Cependant, après le drame, Mariano Rajoy n’est plus le même : il est défiguré par d’énormes cicatrices, qu’il cache par une barbe qu’il ne quittera plus.
En 1981 sont organisées les premières élections démocratiques en Galice, Mariano Rajoy s’y présente et devient député. Membre d’Alianza Popular, ancêtre du Partido Popular, Mariano Rajoy devra attendre quinze ans que les socialistes de Felipe Gonzalez laissent la place aux conservateurs.
Ministre
A peine la droite est-elle arrivée au pouvoir en 1996 que Mariano Rajoy devient ministre de Jose Maria Aznar en charge des Administrations publiques. Trois plus tard, il prendra du grade, et héritera du ministère de l’Éducation et de la Culture. Devenu incontournable, Aznar lui confie la campagne électorale en 2000. Succès total, le Partido Popular rafle la majorité absolue et Mariano Rajoy devient le puissant vice-président dans le nouveau gouvernement Aznar. En février 2001, en pleine guerre entre le gouvernement et la bande terroriste basque ETA, Rajoy devient ministre de l’Interieur. Il mènera de nombreuses opérations qui se solderont par des victoires policières contre les terroristes.
A la fin des deux mandats d’Aznar en 2004, Mariano Rajoy est le dauphin. La victoire aux élections législatives ne devait être qu’une formalité. Sauf qu’un attentat islamiste la veille du scrutin changea la donne. Le gouvernement Aznar savait que l’attentat était une représaille suite à l’implication espagnole dans la guerre d’Irak de Georges Bush. Le gouvernement tenta de mentir, accusant à tort les terroristes d’ETA. Le mensonge fut lourdement sanctionné, le socialiste inconnu Jose Luis Zapatero devient à la surprise générale le nouveau président du gouvernement espagnol.
Mariano Rajoy, comme lors de son accident de voiture, manque de mourir, mais politiquement cette fois. Il s’accroche, élimine ses ennemis à l’intérieur du Partido Popular et devient chef de l’opposition. Il tient jusqu’en 2008, pour de nouveau être battu par le leader socialiste. Troisième risque fatal mais Rajoy une fois encore survit. Il évince ses rivaux à droite et se maintient à la tête de son parti. Il faudra attendre la crise économique et un Jose Luis Zapatero acculé pour que Rajoy soit finalement élu chef du gouvernement espagnol en 2011.
Majorité absolue
Mariano Rajoy possède une majorité absolue confortable. Le parti socialiste est malade des années Zapatero, Ciutadans n’est alors connu qu’en Catalogne et Podemos n’existe que dans la rue. Devant un tel boulevard, l’intelligentsia de droite est impatiente de voir les lois progressistes de Zapatero défaites. Rajoy, organisme sans idéologie, décevra les cercles conservateurs. Aucune réforme sur les lois de l’avortement et du mariage homosexuel adoptées pendant la législature socialiste. En revanche, sur la demande de la commission européenne, Mariano Rajoy organise une casse sociale zélée : facilitation des licenciements et des expulsions locatives. Suppression des aides sociales et diminution des indemnités chômage et licenciements. Devant la rue qui gronde, le chef du gouvernement fera adopter une loi restreignant le droit de manifester autour du parlement espagnol.
Adepte de la lenteur, celui qui se lève tous les matins à 6h55 pour faire de la marche rapide s’enkyste dans la Moncloa après avoir perdu le scrutin de 2015. Ayant perdu la majorité absolue, Mariano Rajoy profite des rivalités de l’opposition, entre socialistes, Ciutadans et Podemos pour rester président par intérim pendant 6 mois. Devant le blocage parlementaire une nouvelle législative est organisée. Après le choc du Brexit, le Partido Popular augmente son score. Mariano Rajoy réussit à redevenir président avec le soutien laborieux de Ciutadans. Il veut rester au pouvoir plus longtemps que le dictateur Franco, grince-t-on dans son entourage.
Bourbier catalan
La gestion de la crise catalane de 2017 est critiquée. Les secteurs les plus à droite sont séduits par les propositions radicales de Ciutadans. Si l’on en croit les sondages, les électeurs conservateurs de l’Espagne profonde sont eux aussi réceptifs aux idées de Ciutadans qui souhaite appliquer des mesures plus musclées pour stopper l’indépendantisme.
En Catalogne en revanche, on hurle au franquisme et à la dictature de Mariano Rajoy. Le piètre résultat du Partido Popular catalan le 21 décembre (4 députés contre 37 pour Ciutadans) enflamme l’intelligentsia madrilène. Il est grand temps de tourner la page Rajoy afin d’écrire celle d’Albert Rivera, le patron de Ciutadans.
Lorsque tombe la sentence de l’affaire Gürtel, ce reseau de corruption qui hante l’Espagne depuis 20 ans, c’est alors l’hallali contre Mariano Rajoy. Les socialistes déposent en urgence une motion de censure. Mariano Rajoy fait ses adieux.