Sans fleurs ni couronnes, l’article 155 de la Constitution espagnole disparaît de la Catalogne. Après 7 mois de blocage, la région récupère son autonomie politique. Le nouveau gouvernement de Quim Torra prend ses fonctions aujourd’hui.
Quelques minutes après la déclaration d’indépendance du 27 octobre, le Sénat espagnol avait voté les pleins pouvoirs au gouvernement d’Espagne pour suspendre l’autonomie institutionnelle catalane. Le jour même, Mariano Rajoy destituait le président Puigdemont et l’intégralité de son gouvernement, démantela le réseau diplomatique catalan, limogea les hauts fonctionnaires catalans, récupéra le contrôle de la police catalane et dissout le parlement afin de convoquer des élections le 21 décembre. Inès Arrimadas arriva en tête, mais les listes indépendantistes obtinrent la majorité absolue.
De janvier à mai, l’article 155 resta en vigueur, devant la volonté de Carles Puigdemont de se faire investir président depuis Bruxelles. Le bras de fer continua, avec la tentative d’élire président Jordi Sanchez, chef de l’association ANC incarcéré depuis octobre dernier suite à une manifestation indépendantiste. Sanchez ne sortit pas de prison, ne fut pas président, faisant durer le blocage un peu plus longtemps. Enfin, le 14 mai, Carles Puigdemont se choisit pour successeur l’éditeur et écrivain Quim Torra qui devient le 131e président de la Catalogne. Sauf, que pour maintenir « l’esprit du 1er octobre », le président voulut restituer quatre ministres du précédent gouvernement : deux qui sont en prison et deux autres en exil. Tous sont poursuivis pour la déclaration d’indépendance. Le gouvernement d’Espagne a bloqué les nominations. Le 155 resta en vigueur.
Nouveau gouvernement
Finalement, hier tard dans la soirée, après avoir consulté les prisonniers et exilés, Quim Torra décida de les substituer, ce qui a provoqué une réponse immédiate de Madrid : le gouvernement catalan peut prendre ses fonctions en même temps que l’article 155 prend fin.
Les dossiers sur la table du conseil des ministres se sont accumulés: déblocage de fonds pour les secteurs de la santé, de la recherche, de nouvelles politiques en matière d’université et de développement digitaux sont également attendus.
Dossiers brûlants
Des dossiers plus conflictuels attendent Quim Torra. La récupération de la police catalane s’avère complexe. L’État espagnol a profité de l’article 155 pour remodeler en profondeur les services internes des Mossos d’Esquadra. La police catalane pourrait voir son champ d’actions réduit dans les prochaines semaines.
La réouverture des ambassades catalanes est un casus belli. Traumatisé par la médiatisation internationale du conflit indépendantiste, l’État menace de réappliquer l’article 155 sur le ministère des Affaires étrangères catalans si celui-ci rouvre son réseau diplomatique. Enfin un haut-commissaire gouvernemental devra évaluer le bilan économique et social de l’application de l’article 155.
La composition du gouvernement
Ministre adjoint à la Présidence et Porte-Parole : Elsa Artadi
Elsa Artadi, bras droit de Carles Puigdemont, est la nouvelle figure phare de ce gouvernement. Elle aura la tâche de réconcilier le monde des affaires avec l’indépendantisme. Proche d’Artur Mas et de son ministre de l’Économie Andreu Mas-Colell, elle fut la créatrice de la loterie catalane La Grossa, qui a connu un succès mitigé. Avant la tempête indépendantiste, elle était proche des cercles économiques catalans. Son doctorat obtenu à l’université d’Harvard rassure. Elsa Artadi est l’incarnation physique de cette bourgeoisie catalane qui a évolué au fil des mois vers le désir de la déclaration d’indépendance unilatérale. Il se dit qu’elle pourrait être la future présidente de la Catalogne après le mandat de Quim Torra. Obtenant le porte-parolat, Artadi sera la voix du gouvernement et sur-exposée dans les médias.
Vice-président et ministre de l’Économie et du Trésor public : Pere Aragonès
Le chef du gouvernement étant un membre du parti de Carles Puigdemont (centre-droit), l’accord gouvernemental prévoit que la prestigieuse vice-présidence revienne à un membre de la gauche républicaine (ERC). C’est Pere Aragonès, actuel leader du parti, qui occupe le poste en cumul avec le ministère de l’Économie. Comme la ministre des entreprises Elsa Artadi, c’est un spécialiste des questions économiques, et lui aussi est diplômé de l’université américaine d’Harvard.
Ministre des Affaires, Relations institutionnelles et extérieures et Transparence : Ernest Maragall
Ernest Maragall, ex-poids lourd socialiste, frère de l’ancien président de la Catalogne Pascal Maragall et petit-fils du célèbre poète catalan Joan Maragall, hérite du ministère des affaires étrangères. Un poste doublement délicat. Le futur ministre devra gérer les relations avec un Puigdemont omniprésent et devra défendre la réouverture des ambassades catalanes.
Ministre de l’Intérieur : Miquel Buch
Le ministre de l’intérieur Miquel Buch est l’ancien maire de Premià de Mar et ex-président de l’association des mairies indépendantistes. Il a un profil radical. Il aura la lourde tâche de diriger le corps des Mossos d’Esquadra, pointés du doigt par le gouvernement espagnol suite à leur supposée passivité le jour du référendum. L’éventuelle restitution du chef de la police poursuivi par la justice Jose Luis Trapero est sur la table.
Ministre des Politiques digitales et de l’Administration publique : Jordi Puigneró i Ferrer
Les Politiques digitales, c’est une nouvelle aire que Carles Puigdemont a voulu mettre en avant. Il estime que la Catalogne est en avance sur les nouvelles technologies et ce ministère devra aider l’avant-garde catalane dans ce domaine. Par ailleurs, ancien secrétaire des télécommunications de la Generalitat, Jordi Puigneró avait refusé de rencontrer le roi d’Espagne Felipe 6 lors du dernier Mobile World Congress.
Ministre des Entreprises, de la Connaissance : Maria Àngels Chacón
Maria Angels Chacón est habituée du ministère des entreprises, où elle officiait en tant que directrice générale en charge des industries. Réconcilier le gouvernement avec le monde des affaires irrité par la déclaration d’indépendance est le défi de cette mandature.
Ministre de l’Éducation : Josep Bargalló
Josep Bargalló était déjà ministre de l’éducation en 2004. Il devra défendre l’usage du catalan comme langue principale dans les écoles, une pratique dénoncée par le gouvernement espagnol.
Ministre de la Santé : Alba Vergés
Alba Vergès est spécialiste des questions de santé au sein de son parti ERC
Ministre de l’Industrie : Damià Calvet
Damià Calvet fait partie de la frange dure de l’indépendantisme, c’est un très proche de Carles Puigdemont.
Ministre de la Culture : Laura Borràs
Laura Borrás est l’ancienne directrice de l’Institut des lettres catalanes. C’est une figure particulièrement appréciée dans le monde de la culture catalan.
Ministre de la Justice : Ester Capella
Jusqu’ici, Ester Capella était sénatrice de la gauche républicaine ERC.
Ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Famille : Chakir El Homrani
Le syndicaliste Chakir el Homrani devient ministre catalan du travail.
Ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation : Teresa Jordà
Teresa Jordá est la maire de Ripoll.