En mai 1968 , alors qu’en France on soulevait les pavés parisiens, l’Espagne, et sa presse, étaient courbées sous la dictature franquiste.
1968. Le régime totalitaire allait prendre fin sept années plus tard avec la mort du général Franco. L’Etat espagnol commençait à offrir deux visages : les plus fanatiques qui souhaitaient que le franquisme continue même sans Franco, et les libéraux qui manœuvraient afin d’ouvrir le pays sur l’extérieur. La loi Fraga, du nom du ministre qui créera l’embryon du Partido Popular aujourd’hui au pouvoir en Espagne, offrit à la presse ibérique un début de liberté en relâchant relativement la censure.
Différents points de vue
Dans le traitement de mai 68 par la presse espagnole il y aura donc des nuances, même si l’ensemble des journalistes partagent la même crainte : que le conflit français se propage en Espagne. A Madrid la presse phalangiste (la Falangia est le seul mouvement politique autorisé sous Franco) se déchaîne contre les étudiants « Il s’avère que les étudiants que l’on qualifie de naïfs, bons, nobles, enthousiastes, et généreux, sont en fait armés de bombes, de pistolets, d’explosifs, de chaînes de fer et matraques en acier ».
Parallèlement, la presse la plus radicale critique aussi le gouvernement du Général de Gaulle qualifié de fragile face aux révolutionnaires. Des éditos au vitriol qui vont plus loin que Franco, qui lui soutient De Gaulle.
Différence catalane
Au début de la crise, en Catalogne, le journal la Vanguardia voit le mouvement étudiant d’un meilleur œil que ses confrères madrilènes. On lit dans le journal du comte Godo : « […] C’est un mouvement de privilégiés mais les étudiants, en général, protestent contre ce qu’ils considèrent des injustices et autres maux d’une société dans laquelle, égoïstement, ils pourraient être très bien placés socialement. Il y a ici une générosité et un désintéressement juvénile ».
Cependant que ce soit à Madrid ou à Barcelone, la presse n’a pas caché le sérieux de la situation française, la cataloguant révolutionnaire, et en considérant massive et réussie la grève générale du 13 mai.
Peur de la contagion
A partir du moment où les événements se sont précipités avec la fuite du général De Gaulle à Baden Baden, les éditos sont devenus de plus en plus agressifs contre les manifestants. Le 25 mai 1968, le journal ABC (qui existe encore aujourd’hui se situant dans la frange la plus conservatrice) écrivait : « […] C’est précisément ce que les émeutiers voulaient : des morts dont ils avaient besoin […]. Que l’on ne parle plus d’éléments non contrôlés alors qu’il s’agit de milices parfaitement entraînées et armées. » Si l’Espagne était si virulente contre les manifestants, c’est que les universités du pays s’échauffaient et le risque de contagion commençait à faire planer l’inquiétude au sein de l’intelligentsia.
Le retour de De Gaulle et la manifestation monstre du 30 mai de « la majorité silencieuse favorable » au gouvernement français, qui mit fin aux révoltes de mai 68, a été accueillie avec euphorie dans les cercles médiatiques espagnols.
Finalement, le fait principal du suivi journalistique de mai 68, fut l’offensive d’un journal à la ligne libérale qui portait le nom « Madrid ». Dans un article titré « Retirarse a tiempo: no al général De Gaulle », le journal attaquait en sous-entendu le dictateur Franco. En sanction il fut fermé pendant deux mois et reçu 250.000 pesetas d’amende. En 1971, le journal baissait définitivement le rideau.
Dans les archives du ministère des Affaires étrangères français, on trouve cette note écrite par les diplomates de l’époque : « l’opinion publique espagnole est majoritairement favorable au gouvernement français et compréhensive avec sa situation ».