La relation entre la Catalogne et l’Espagne est brisée. Le 27 octobre, le parlement catalan proclamait la sécession. L’Espagne applique immédiatement l’article 155 de la constitution pour destituer le gouvernement catalan. Et lors des élections en décembre 2018, près de 2 millions de Catalans ont voté pour les partis indépendantistes. Focus sur la dernière décennie pour comprendre comment on en est arrivé là.
La Catalogne est une autonomie de l’Espagne. Elle est régie par un statut autonomique depuis 1979. Une sorte d’avenant à la Constitution espagnole qui offre certaines compétences en matière d’éducation, de sécurité, de transport et de santé. Ça ne veut pas dire que l’exécutif catalan (le gouvernement appelé la Generalitat) ou le législatif (le parlement de Catalogne) peuvent agir indépendamment de l’Espagne. L’Etat Espagnol garde toujours un œil sur les actions politiques de la Catalogne et n’hésite pas à recourir au tribunal constitutionnel pour annuler des lois votées par le parlement catalan.
Ces dernières années plus d’une cinquantaine de textes ont été suspendus ou supprimés par l’autorité constitutionnelle. Des dispositifs légaux comme un revenu minimum pour les familles les plus pauvres, la non-coupure des énergies premières en hiver à des fins sociales, l’horaire d’ouverture des commerces ou encore l’interdiction des corridas ont été systématiquement retoqués par le tribunal constitutionnel. Si autant de lois catalanes sont rejetées depuis des années, ce n’est pas d’une volonté de rébellion de la Catalogne.
Le texte fondateur de l’Espagne démocratique de 1978, au sortir de la dictature franquiste, a été rédigé d’une manière rapide et a cherché un large consensus pour satisfaire tous les secteurs de la société espagnole. L’armée toute puissante à la fin de la dictature militaire voulait un état centralisé autour de Madrid tandis que les régions historiques (qui existaient avant l’Etat espagnol) comme la Galice, l’Andalousie, le Pays Basque ou la Catalogne voulaient des prérogatives locales. De ce fait a accouché une constitution souvent peu claire, bancale, sur le champ des compétences qui se distribuent entre gouvernement espagnol et l’autonomie catalane. Force est de constater qu’en cas de litige, dans la grande majorité des cas, le tribunal constitutionnel tranche en faveur de l’État central.
Un nouveau statut d’autonomie pour la Catalogne
Face aux demandes permanentes de la Catalogne de voir ses compétences élargies, le gouvernement socialiste de Jose Luis Zapatero en 2005 a réussi à nouer un grand pacte avec les socialistes catalans (PSC), la gauche républicaine (ERC) et la droite nationaliste (CiU) pour donner plus de prérogatives à l’autonomie catalane.
La Catalogne gardait une partie des impôts, notamment la TVA et l’impôt sur le revenu afin d’avoir une large autonomie financière. Officiellement était reconnu par la réforme du statut d’autonomie le fait que la Catalogne est une nation, faisant partie de la nation espagnole. La réforme a été votée par le parlement catalan, par le Congrès des députés espagnols et par le Sénat d’Espagne. Le texte fut enfin ratifié par un référendum en Catalogne avec une victoire du oui à 73,90%. Le 18 juin 2006, historiquement, prenait fin le problème catalan.
Pas pour longtemps. Stimulé par certains secteurs de la société espagnole (l’Eglise, le patronat, les syndicats ouvriers), le Partido Popular (PP) avec Mariano Rajoy à sa tête rentra en campagne contre le nouveau statut catalan. Le parti conservateur déposa un recours devant le tribunal constitutionnel qui finit par suspendre la réforme du statut.
L’agonie de la réforme du statut d’autonomie
Après quatre longues années d’attente, le tribunal livra finalement son verdict en 2010 : le statut est largement retoqué et vidé de sa substance. La réforme fiscale est annulée, et la Catalogne n’est plus une nation mais une simple région d’Espagne. Fureur. Toute la Catalogne est commotionnée : de la presse qui sort conjointement des éditos, au secteur d’affaires en passant par toute la société qui descend massivement dans la rue avec le chiffre record de plus d’un million et demi de manifestants.
La crise économique
En 2011 arrive simultanément la crise économique et l’arrivée au pouvoir de Mariano Rajoy, celui qui avait initié la campagne contre le statut d’autonomie. Le gouvernement nationaliste d’Artur Mas estime que la Catalogne est victime de la crise économique au-delà de ce qu’elle devrait supporter, en raison des carences des régions espagnoles plus fragiles que la Catalogne. Les nationalistes insistent sur le dynamisme local et rappellent inlassablement qu’un quart des richesses espagnoles proviennent de la Catalogne. Les contribuables catalans, frappés de plein fouet par la crise espagnole, enragent contre l’injustice de la répartition fiscale qui ne fait aucune différence pour les régions prospères. Les autorités catalanes se plaignent également que Madrid ne donne pas assez de moyens aux infrastructures locales comme l’aéroport ou le réseau ferré. Enfin, les Catalans se sentent mal aimés par l’Espagne qui ne reconnait pas suffisamment leur identité et histoire. « Je suis le 129e président de la Generalitat, une institution qui existait bien avant la constitution espagnole de 1978″ répète souvent Artur Mas. Le chef de l’exécutif catalan se rend donc à Madrid pour tenter une négociation autour du pacte fiscal pour que la Catalogne récupère une partie des impôts comme le prévoyait le nouveau statut d’autonomie. Réponse de Mariano Rajoy : non et ce n’est pas négociable.
La consultation indépendantiste du 9 novembre 2014
A partir de ce rendez-vous manqué, la tension ne cessera de croître entre les exécutifs catalans et espagnols. Boosté par les gigantesques manifestations de rue, notamment à chaque 11 septembre, fête nationale de Catalogne, le président Mas mène une politique de plus en plus indépendantiste. Le 9 novembre 2014 a lieu en Catalogne une grande consultation populaire ayant pour question « souhaitez-vous que la Catalogne devienne un état indépendant ? » Plus de deux millions de Catalans participeront, et le oui gagnera largement à plus de 80%.
Le soir du 9 novembre, galvanisé par le succès de participation et sous le regard de la presse internationale, le président Mas fit une déclaration en catalan, espagnol, français et anglais pour affirmer que le gouvernement de Catalogne prenait le vote au sérieux et qu’une feuille de route serait dessinée pour emmener la Catalogne vers son indépendance. Une décision qui attirera les foudres de la justice espagnole qui deux ans plus tard condamnera Artur Mas à une forte amende et 9 ans d’inéligibilité.
L’élection plébiscitaire de 2015
Cette déclaration au soir du 9 novembre se traduira un an plus tard par l’élection régionale du parlement catalan qui a été convertie par les indépendantistes en un scrutin plébiscitaire. Le parti d’Artur Mas de droite (CDC), le parti d’Oriol Junqueras de gauche (ERC) , les associations indépendantistes (ANC et Omnium) se rassemblèrent en une liste unique : Junts Pel Si (ensemble pour le oui). Seule l’extrême-gauche indépendantiste de la Cup fit bande à part, ne voulant pas s’amalgamer aux libéraux d’Artur Mas. Si Junts pel Si obtient la majorité absolue de suffrages au parlement, les indépendantistes promettent de déclarer l’indépendance de la Catalogne en 18 mois. La fameuse feuille de route. Concept que n’ont jamais reconnu les partis non-indépendantiste, rappelant que cette élection sert uniquement à designer un parlement régional au sein de la nation espagnole.
Tout ne se passe pas comme prévu : non seulement le cumul des listes indépendantistes n’obtient pas la majorité en voix, bloqués à 48%. Mais Junts Pel Si n’a pas non plus de majorité absolue en sièges de députés (62) et va devoir demander le support de la Cup qui a obtenu 10 sièges. Les indépendantistes ne sont donc pas majoritaires en voix, mais grâce au découpage de la carte électorale ont réussit à décrocher une majorité absolue en nombre de députés : 72 sur 130.
Artur Mas qui se voulait le messie de la cause indépendantiste va pouvoir vivre son chemin de croix. L’accord électoral des différents partis au sein de la coalition Junts Pel Si prévoyaient qu’Artur Mas soit investit président pour un second mandat. Sauf que Junts Pel Si n’a pas les députés suffisants pour investir Mas et doit supplier La Cup d’apporter leur soutien décisif du haut de leur dix députés.
L’homme, inconnu du grand public, est maire de Gérone. De centre-droit, il appartient au parti d’Artur Mas. Son investiture a été négociée entre les équipes d’Artur Mas et la Cup. Si l’extrême-gauche séparatiste a avalisé Puigdemont, on comprendra plus tard, que sous sa carapace de centre-droit, Puigdemont partage un jusqu’au-boutisme indépendantiste semblable à celui de la Cup. Sous l’égide de Puigdemont, la désobéissance à l’État espagnol est érigée en dogme.
Le référendum du 1er octobre
Avec l’accord de la Cup, au printemps 2016, Carles Puigdemont annonce que la Catalogne organisera un référendum d’autodétermination en octobre 2017 avant ou sans l’aval de Madrid. Jusqu’à l’été, Puigdemont essaie de négocier avec Mariano Rajoy pour que l’Espagne et la Catalogne organisent leur référendum. Refus catégorique de Rajoy. Au contraire, Mariano Rajoy, en campagne électorale pour sa réélection, va jouer à fond la carte anti-indépendance. En se présentant comme le garant de l’unité nationale face à la dérive indépendantiste, en plein résultat du Brexit, Mariano Rajoy a marqué des points dans l’électorat conservateur et âgé. Le prix à payer est lourd en Catalogne : après la campagne électorale tous les ponts sont rompus entre l’État central et la Catalogne.
La réponse de l’État espagnol a été cinglante : fermeture des sites webs du référendum par la police espagnole. Blocage des comptes bancaire de la Generalitat. Placement en garde à vue de la moitié des responsables du ministère de l’économie catalan. Pourtant le président Puigdemont ne renonce pas : le référendum est toujours convoqué pour le 1er octobre. La rue soutient le président, des manifestations monstres ont lieu quotidiennement dans toute la Catalogne. Les regards européens sont tournés vers Barcelone.
Le 1er octobre, le référendum est célébré. L’Espagne envoie sa police pour empêcher le vote utilisant une violence singulière. Le oui gagne.
Le 10 octobre, le parlement catalan se reunit pour que Carles Puigdemont déclare officiellement l’indépendance.
Le discours devait démarrer à 18h. Carles Puigdemont ne se présente pas dans l’enceinte de l’hémicycle catalan. Le président est enfermé dans une salle du parlement avec les députés indépendantistes de la coalition Junts Pel Si et de l’extrême-gauche de la Cup. Ces derniers sont furieux contre le président. Il vient de leur présenter une version suave de son discours qui ne fait pas l’objet d’une claire déclaration d’indépendance. Trahison pour l’extrême-gauche. Entrant dans l’hémicycle avec une heure de retard, le visage blême, l’air assommé, Puigdemont annonce dans une formule alambiquée que la Catalogne devient indépendante, mais ajoute que cette indépendance est de facto suspendue pendant quelques semaines pour négocier un appui d’un pays tiers ou un geste de la part du gouvernement espagnol.
Cette déclaration d’indépendance pétard mouillé s’explique par le fait que le président a été mis sous pression toute la journée par des appels provenant des quatre coins de l’Europe. La réaction la plus virulente fut celle d’Emmanuel Macron qui a exposé un triptyque fatal pour la déclaration d’indépendance : pas de soutien de la France envers la Catalogne, non reconnaissance en cas d’indépendance et pas de médiation de la France.
Mais le pire pour Puigdemont était à venir. En pleine séance publique dans l’après-midi au parlement européen, le président du conseil, le polonais Donald Tusk a cité publiquement Puigdemont pour lui dire que l’Europe ne le soutiendrait pas, et refuserait d’assurer une médiation. Coup de grâce pour le chef catalan qui décide de faire marche arrière.
Trois semaine plus tard, dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 octobre, grâce à la médiation du président basque Iñigo Urkullu, des responsables socialistes et de Podemos, Carles Puigdemont, dans la douleur et les cris, a pris sa décision : il n’y aura pas de proclamation d’independance mais les Catalans seront appelés aux urnes dans la légalité constitutionnelle espagnole.
A 9h, le jeudi 26 octobre, la presse est convoquée au Palau de la Generalitat pour annoncer que le parlement était dissous et des élections organisées. A Madrid, silence radio. Mariano Rajoy refuse de confirmer que l’article 155, qui devait être voté au Sénat le lendemain, ne sera pas appliqué si Puigdemont abandonne la proclamation d’independance. Rajoy fait le mort. La place Sant Jaume, siège du gouvernement, prend vie se remplissant de manifestants indépendantistes hostiles à Puigdemont. Les réseaux sociaux débordent de haine à l’encontre du président catalan qui est accusé de traître. Chaos. La pression est trop forte pour Carles Puigdemont qui change d’avis et ordonne au parlement catalan de déclarer solennellement la sécession le lendemain 27 octobre.
La suite est connue : Carles Puigdemont se réfugie en Belgique avec une partie de ses anciens ministres. Les membres du gouvernement restant en Espagne sont envoyés en prison. L’article 155 est appliqué. La Catalogne institutionnelle n’existe plus tant qu’un nouveau gouvernement n’est pas formé. Ines Arrimadas arrive en tête du scrutin du 21 décembre sans avoir de majorité pour gouverner, ce sont les indépendantistes qui raflent la mise avec 70 parlementaires. Depuis, la situation est bloquée face aux querelles entre Puigdemont et la gauche indépendantiste. L’article 155 dépouille la Catalogne de son autonomie politique pendant 6 long mois. Si aucun président n’est officiellement investi d’ici au 22 mai, de nouvelles élections catalanes auront automatiquement lieu le 15 juillet.