Décryptage sur la crise que traverse le parti de Mariano Rajoy, qui veut garder son nom contrairement à l’UMP devenue Les Républicains.
Le Partido Popular (PP), au pouvoir en Espagne depuis 2011 sous la houlette de Mariano Rajoy, traverse une de ses pires crises. Les problèmes du parti conservateur vont de Madrid à Barcelone. A la tête de la région capitale, Cristina Cifuentes est accusée par la presse et l’opposition d’avoir triché pour obtenir son master. Au-delà du ridicule d’avoir fraudé sur un diplôme lorsque l’on représente une famille politique prônant la valeur du mérite, ce sont les relations qu’entretiennent Cifuentes et la prestigieuse université madrilène Juan Carlos qui choquent. Dans une faculté qui vante la méritocratie, les petits arrangements pour décerner un diplôme sans avoir même passé les examens finaux fait tache.
Ciutadans en faiseur de rois
Cristina Cifuentes, très proche de Mariano Rajoy, dirige la région de Madrid sans avoir obtenu de majorité absolue aux élections. Elle gouverne grâce à l’appui de Ciutadans. Devant la virulence des attaques des socialistes et de Podemos, le PP madrilène se fracture : une partie du mouvement demande avec l’opposition la démission de Cifuentes.
Son sort ne tient qu’à un fil que Ciutadans peut couper lors de la motion de censure qui aura lieu entre les 13 avril et 7 mai prochain. La tentation pour Ciutadans de détrôner Cifuentes et affaiblir Mariano Rajoy est immense. Cependant faire tomber Cifuentes signifie donner le pouvoir à un socialiste.
Ciutadans veut être le nouveau Partido Popular. Après le défi indépendantiste catalan, l’Espagne penche clairement à droite et demande des mesures répressives. Dans ce climat, Ciutadans ne veut pas apparaître comme le parti qui a livré la région de Madrid aux socialistes, réputés trop laxistes face aux indépendantistes.
Onde de choc
Le tremblement de terre ayant fissuré le PP a débuté en septembre en Catalogne. L’électorat âgé, conservateur et rural espagnol est traumatisé par le référendum, la déclaration d’indépendance et le périple européen de Carles Puigdemont. Pour rassurer son électorat, Mariano Rajoy explique que l’État garde le contrôle avec l’application de l’article 155 de la constitution qui suspend des compétences politiques de la Catalogne.
Un scénario troublé par la libération de Carles Puigdemont par la justice allemande. Une bonne partie de l’intelligentsia madrilène, des médias conservateurs et des grandes entreprises affichent ouvertement leur soutien à Ciutadans. Parti jugé plus répressif sur la Catalogne, plus jeune, moins enlisé dans les affaires de corruption en tout genre. Traduction directe dans les sondages : lors des législatives de l’an prochain, le transfert de voix vers Ciutadans serait fatal pour le PP. Le parti orange d’Albert Rivera est aux portes du pouvoir.
L’enracinement du Partido Popular
La dernière option qu’il reste à Mariano Rajoy pour sauver les meubles est de miser sur l’enracinement du PP. Depuis quelques semaines, Mariano Rajoy amalgame dans ses discours la stature de son parti avec la solidité de l’Etat espagnol. Le PP c’est l’État, et l’État c’est le PP, est l’équation que propose les équipes du chef du gouvernement. Le parti est puissant, répète à l’envie Rajoy. Contrairement à Ciutadans qui ne gouverne aucune région, ni aucune ville de taille significative, le PP reste le premier parti d’Espagne. Face aux « populaires » mouvement sérieux disposant du sens de l’État, Ciutadans n’est qu’un phénomène médiatique, tentent ainsi de démontrer les stratèges du parti conservateur.
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Ravagé par la corruption, le PP détient le nombre record d’élus inculpés en Europe, le parti doit-il changer de nom ? En la matière, il dispose de deux exemples de fiascos. Le Partido Popular a deux mouvements cousins : l’ancienne UMP en France et l’ancienne Convergencia d’Artur Mas en Catalogne. Ces deux partis de droite furent sujet à des affaires de corruption majeures et ont changé de noms. Le remède a été pire que la cause.
Les Républicains, héritier de l’UMP, est un parti qui n’a connu que la crise depuis sa naissance. En 2002, la fondation de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) répondait à la fusion des trois principaux partis de droite : Le RPR, l’UDF et Démocratie Libérale. Le nouveau nom était logique. En revanche, impossible d’expliquer pourquoi en 2015 l’UMP a abandonné son sigle, si ce n’est pour faire oublier l’affaire Bygmalion. Les Républicains ravagés par les guerres intestines et terrassés par la présidence Macron ne sont qu’une ombre de ce que fut la toute puissante UMP. Faire oublier son nom, surtout chez un électorat conservateur, donne l’impression d’avoir honte de son propre mouvement et ainsi fait encore plus fuire les électeurs.
Le deuxième exemple que ne veut pas reproduire Mariano Rajoy se trouve en Catalogne. L’ultra-puissante Convergencia, à la tête de la Generalitat pendant 30 ans, a aussi connu une crise majeure avec la confession de son fondateur Jordi Pujol qui a massivement fraudé le fisc. En urgence, le parti a changé de nom pour se fondre dans une coalition indépendantiste Junts Pel Si (septembre 2011). Quelques mois plus tard, le parti se présentait aux législatives nationales, sous le nom de Democràcia i Llibertat.
Finalement, les militants votèrent pour que l’ancienne Convergencia s’appelle Partit Democrata Catala, avant de changer quelques semaines plus tard pour devenir le Partit Democrata Europeu Catalan (PdeCat) . Résultat : le parti qui a gouverné la Catalogne pendant 30 ans a perdu ses électeurs, ses militants et ses adhérents. Aux dernières catalanes, le PdeCat n’a pas même pu se présenter seul aux élections et a dû se fondre dans la liste de Carles Puigdemont, baptisée Junts Per Catalanya. A chaque élection l’ancienne Convergencia change de nom, s’amuse-t-on du côté du PP.
Le Partido Popular croit savoir qu’en préservant son nom, il gardera, lui, une partie de ses votants.Le prochain scrutin majeur aura lieu en juin 2019 avec en même temps les municipales, les régionales et les européennes.