[REPORTAGE] 60.000 euros d’amende pour avoir sous-loué son appartement sur Airbnb à Barcelone

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Barcelone, capitale touristique européenne. Un inconvénient pour de nombreux habitants, une aubaine pour d’autres qui arrondissent leurs fins de mois en sous-louant leur logement sur Airbnb. Mais louer sur la plateforme sans licence touristique comporte bel et bien des risques. Reportage. 

«Quand j’ai reçu cette amende de 60.000 euros, ça a été un choc,  raconte Paul, Français de 34 ans installé à Barcelone, je me suis senti comme un criminel alors que j’avais simplement loué une chambre de ma maison, que j’avais annoncée comme entière car c’est un loft».

Nouveau propriétaire d’un pied-à-terre à Barcelone depuis l’été dernier, Paul, qui travaille dans le secteur de la communication et a souhaité conserver son anonymat, s’en était remis à la plateforme communautaire pour rembourser une partie de son crédit. À peine l’annonce postée, il reçoit une mise en demeure de la mairie, l’accusant de délit grave.

Depuis 2015, Ada Colau, maire de Barcelone, s’attaque à la saturation de la ville causée par le tourisme de masse avec le gel de l’attribution de nouvelles licences hôtelières. Elle explique son choix comme un « instrument temporaire nécessaire », le temps d’élaborer un projet stratégique en matière d’hébergements touristiques (le PEUAT, plan spécial d’urbanisme pour l’hébergement touristique). Approuvé et mis en vigueur le 27 janvier 2017,ce plan restructure la distribution des licences touristiques, document officiel remis par la mairie permettant aux propriétaires de mettre leur bien en location.

Airbnb dans le viseur de la mairie

Sans licence touristique donc, aucun professionnel ou particulier n’a le droit de louer à des touristes. De fait, depuis 2016,  les sites de réservation de logement en ligne comme Airbnb deviennent la priorité d’Ada Colau. Après avoir annoncé une sanction de 600.000 euros à l’encontre de la plateforme pour annonce d’appartements illégaux, une sanction qui n’aboutira jamais, c’est au tour des propriétaires d’en subir les conséquences.

« J’estime qu’en tant que propriétaire, je devrais avoir le droit de louer l’appartement dans lequel je vis pour de courtes périodes, un certain nombres de jours par an, et naturellement déclarer ces revenus additionnels aux autorités fiscales » commente Laura, après avoir reçu un recommandé de la mairie l’accusant d’infraction « très grave » et un risque d’amende pouvant aller jusqu’à 60.000 euros pour avoir loué son logement. « Aucun de mes voisins n’a porté plainte, et je n’ai reçu aucun inspecteur à domicile. Les accusations reposent sur des captures d’écran du site Airbnb et de Google maps » ajoute Laura. Une pratique courante, car elle reste la méthode la plus utilisée à l’encontre des propriétaires avec les plaintes de voisinage.

« On peut aussi mentionner l’hypocrisie d’Airbnb dans ce contexte, qui incite à la location par tous les moyens sans jamais nous informer des risques auxquels nous nous exposons. J’ai demandé une assistance juridique à Airbnb, lesquels m’ont répondu qu’ils n’étaient pas responsables et ne me soutiendraient en rien » dénonce Laura. Contacté par Equinox, Airbnb n’a pas donné suite à nos questions, se dédouanant de toute responsabilité sur son site internet et indiquant que c’est aux utilisateurs de connaître la législation de la ville dans laquelle ils se trouvent.

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À ce jour, la loi municipale interdit formellement la location de logements entiers sur la plateforme; considérant cela comme une activité professionnelle qui nécessite une licence touristique. Toutefois, la location d’une chambre du bien sur de courtes périodes est permise. Beaucoup de propriétaires profitent donc de cette faille pour louer l’intégralité de leur logement et éviter toutes représailles de la part de la municipalité.

« L’astuce est d’annoncer une seule chambre, même si les locataires ont accès à tout l’appartement et sur de courtes périodes de deux à trois jours » indique Clara, une étudiante de 22 ans qui utilise la plateforme de temps en temps pour louer l’appartement de ses parents. Consciente des risques, elle révèle aussi « toujours être présente sur les lieux pour éviter tout problème ».  La loi PEUAT ne fait pour l’instant pas de différence entre propriétaires, qui utilisent la plateforme comme activité professionnelle et sans possession d’une licence touristique, et donc de manière illégale, et ceux, comme Paul et Laura, qui l’utilisent occasionnellement sur le modèle de l’économie collaborative. 

La rébellion des Barcelonais

« Faute de pouvoir s’attaquer au premier responsable [Airbnb] qui possède les moyens financiers et juridiques pour se défendre, la mairie a décidé de s’attaquer aux particuliers avec des conséquences économiques dramatiques dans de nombreux cas, sans parler des dommages psychologiques » dénonce Alain, membre de l’association ACABA.

ACABA (Association des Affectés par le Conflit entre la Mairie de Barcelone et Airbnb), c’est l’association créée par des Barcelonais dans la même situation que Laura, Paul et Alain, pour défendre propriétaires et locataires qui auraient utilisé Airbnb sans mauvaises intentions et de manière sporadique. « L’association a eu un effet apaisant et thérapeutique, au-delà de son action et des espoirs qu’elle génère de pouvoir remédier à cette situation injuste » ajoute Laura.

« Ce que nous demandons c’est une loi juste qui nous autorise à louer notre bien quelques jours par an » commente Paul, voulant revoir à la baisse les sentences de la municipalité, avant de continuer : «si des sanctions doivent être imposées, qu’elles ne soient pas considérées comme ‘très graves’ et qu’elles restent proportionnelles ».

barcelone rue vélo« Le projet final de l’association ACABA est d’annuler les amendes des personnes non spéculatrices et demander à Airbnb d’assumer sa responsabilité; et si nous obtenons des dommages et intérêts, nous voudrions les réinvestir dans un projet immobilier pour familles défavorisées » indique Paul, qui à l’heure actuelle avec l’aide de l’association ACABA, continue son combat contre le projet PEAUT et la municipalité.

« Comme à l’évidence le positionnement de la mairie est purement politique, et en tant que contribuable, j’aimerais bien connaître le budget consacré par la mairie pour mettre en place son système de dénonciation, d’inspection et de sanction de la location des appartements par les particuliers, et le montant des amendes payées ou à recevoir » dénonce Alain, perplexe devant la non-information de la part de la mairie. À ce jour, ACABA décompte plus de 6200 plaintes de la part de la mairie. Sur ces plaintes, qui reposent principalement sur des captures d’écrans du site, ils ont pu en annuler une vingtaine et 90 sont en cours de procédure. Un nombre de plaintes difficile à cerner du fait que la mairie ne rend pas publiques les procédures en cours et ses suivis.

Une polémique qui surgit en fin du premier mandat d’Ada Colau, qui avait choisi de faire du tourisme de masse et du problème d’habitat à Barcelone l’un des arguments phare de sa candidature puis de son mandat. Et sans doute un nouvel enjeu qui s’invitera dans la très prochaine campagne électorale des municipales de 2019.

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