La grande punition que l’Espagne inflige à la Catalogne

OPINION DE NICO SALVADO, fondateur d’Equinox.

« Si la Catalogne n’obtient pas son indépendance, avec le référendum du 1er octobre, l’Espagne va nous punir sévèrement ». Cette prophétie de malheur m’a été confiée en marge d’une interview, début septembre, par la star de TV3, le très souverainiste Toni Soler.

En effet, la Catalogne paie cher sa déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017. Finances de la Generalitat bloquées par Madrid, Mossos d’Esquadra sous contrôle du ministère de l’Intérieur espagnol, réseaux diplomatiques dissous, fin du monopole de la langue catalane dans les écoles, pression financière sur la télévision publique TV3, peines de prison pour les dirigeants.

Les complexes et tabous disparaissent

Les plaies d’Égypte s’abattent sur la Catalogne. L’avenir politique des institutions catalanes n’offre pas d’éclaircie à court et moyen terme. « Le bouclier invisible qui protégeait la Generalitat, symbole du rétablissement de la démocratie après l’interdiction de la dictature franquiste, a été brisée par le gouvernement espagnol » analyse finement le directeur du journal La Vanguardia Enric Juliana. L’application de l’article 155, qui suspend les institutions catalanes, est passée comme un couteau dans du beurre, sans aucune résistance des hauts fonctionnaires locaux se surprend-on avec joie à Madrid. Du coup, les tabous et les complexes tombent.

Le nationalisme espagnol est à la mode à Madrid. La droite médiatique, les réseaux conservateurs qui s’articulent autour de l’ancien premier ministre Aznar, les afficionados du parti Ciutadans et une partie des socialistes ont envie de sang. La revanche est là.

Depuis les années 80, de nombreux secteurs espagnols trouvent que la Catalogne a reçu trop de privilèges. Durant près de trois décennies, les socialistes et conservateurs espagnols n’avaient pas la majorité absolue au Parlement national. Pour gouverner le pays, autant la droite que la gauche ont négocié avec la vingtaine de députés catalans nationalistes qui étaient présents au Parlement espagnol.

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Le président conservateur de l’Espagne en 1996: Jose Maria Aznar, avec le président catalan Jordi Pujol.

En monnaie d’échange de ce soutien, les Catalans ont obtenu la création de leur propre police, les Mossos d’Esquadra, l’immersion linguiste avec l’école et les services publics en catalan et une relative tranquillité pour faire grossir les institutions catalanes.

Pour tout un secteur espagnol, ces concessions ont été trop importantes et il est grand temps de les réduire. Additionnées à l’humiliation qu’a fait subir la Catalogne à l’Espagne avec sa déclaration d’indépendance, le rapatriement des compétences catalanes vers la capitale doit se faire dans la douleur.

Opinion de la rue espagnole

Une grande partie de l’intelligentsia catalane, de ses responsables politiques, de ses pontes médiatiques ou culturels n’ont pas vu venir la potion amère qu’allait devoir boire la Catalogne. Pour deux raisons essentielles. L’indépendantisme se croyait protégé par l’Europe, mais ce ne fut pas le cas. Et second point, les souverainistes catalans ont manqué de visibilité sur l’état de l’opinion de la rue espagnole.

Pour quelqu’un qui réside en Catalogne, il parait évident que le processus indépendantiste fut lent et progressif depuis 2012. Manifestations gigantesques, simulacre de référendum le 9 novembre 2014, victoire aux élections en 2015, pour finalement organiser un référendum et déclarer la sécession en 2017. Cet aspect lent et progressif n’a pas été vu de la même manière dans le reste de l’Espagne. Longtemps, le mouvement indépendantiste a été perçu comme folklorique par les Espagnols. Le référendum du 9 novembre 2014 a été considéré comme une kermesse. Jusqu’en septembre 2017, pour un Espagnol de la rue, il ne se passait rien en Catalogne. Ce sont des capricieux orgueilleux qui ne passeront jamais à l’acte se répétait-on d’une manière condescendante dans les quatre coins du territoire ibérique.

Du jour au lendemain, l’Espagne comprit que Carles Puigdemont n’était pas Artur Mas, quand le Parlement catalan a voté la loi du référendum et de déconnexion au début du mois de septembre. Les Espagnols ont sorti leurs drapeaux aux balcons et acclamé les forces de police qui partirent pour ce territoire étranger qu’était devenu la Catalogne. L’opinion publique espagnole, quasiment à l’unanimité, donna un blanc-seing au gouvernement pour appliquer une vague de répression et utiliser la manière forte contre l’insoumise catalane. Les conservateurs et socialistes allaient appliquer au-delà de toute attente la grande punition contre la Catalogne. Et firent oublier les compromis politiques des trente dernières années.

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