[REPORTAGE] Passeig de Gràcia, ghetto bourgeois au centre de Barcelone

À Barcelone, le Passeig de Gràcia reste un symbole de luxe et d’élégance. Cette avenue est incomparable, grâce à ses lieux emblématiques, mais aussi à son histoire qui a déterminé ce qu’elle est aujourd’hui.

Larges trottoirs, boutiques de luxe, palaces prestigieux, le Passeig de Gràcia est unique à Barcelone. Située dans le quartier de l’Eixample, cette avenue est si élégante que certains la comparent aux Champs-Élysées parisiens. Aujourd’hui, cet axe est fréquenté par les travailleurs du quartier, les touristes qui s’émerveillent devant les maisons modernistes comme la Casa Batlló, mais aussi les Barcelonais. Elle a même été élue 2e avenue de luxe la plus attractive d’Europe, en accueillant 10.132 personnes par heure, selon BNP Paribas Real Estate.

Les plus grands architectes catalans y ont laissé leur empreinte, comme Gaudí, Puig i Cadafalch ou Domènech i Montaner. Le Passeig de Gràcia correspond au centre du Carré d’Or, Quadrat d’or en catalan, en raison de ce riche patrimoine architectural. Le prestige actuel de l’avenue barcelonaise s’explique par plusieurs éléments historiques.

Création de l’Eixample

Pour comprendre le Passeig de Gràcia actuel, il est indispensable de faire un retour en arrière. En 1841 naît l’idée du Plan Cerdà pour étendre Barcelone. À cette époque, la ville est bien plus petite que celle que nous connaissons aujourd’hui. La frontière avec les communes les plus proches est délimitée par des murailles. Mais pour se développer, il devient indispensable que la capitale catalane puisse s’étendre en englobant les villages aux alentours. Les murailles sont détruites en 1854 et le plan Cerdà est officiellement approuvé en 1860, imposé par le gouvernement espagnol de l’époque. Il s’accompagne de la création du quartier de l’Eixample. Le Passeig de Gràcia devient un axe central du projet pour relier Barcelone à la commune de Gràcia, qui correspondait à une riche terre agricole. Il permettra de délimiter par la suite Eixample Gauche et Eixample Droite.

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Les débuts du Passeig de Gràcia – Photo: lamevabarcelona

Núria Miret a publié plusieurs livres sur l’histoire de Barcelone, dont “Les 1001 secrets de la Barcelone bourgeoise” sorti en 2017. Elle nous raconte que le Passeig de Gràcia est en effet très caractéristique de la bourgeoisie puisqu’il a été créé spécialement pour cette classe sociale. “Les bourgeois avaient des moyens financiers non négligeables. La mairie de Barcelone a donc tout mis en oeuvre pour que le Passeig de Gràcia corresponde à leurs attentes. La municipalité a autorisé la construction de certains édifices à cet endroit, alors qu’elle l’interdisait dans le reste de la ville. Des bâtiments gigantesques et de vastes maisons font leur apparition. Les logements se partagent entre plusieurs grandes familles, qui font appel aux meilleurs architectes de l’époque. Ce sont ces bourgeois qui sont à l’origine du courant moderniste de Barcelone » nous explique l’auteur. Elle ajoute que par logique “des boutiques de luxe s’installent au même endroit pour répondre à leur demande”. Des théâtres naissent également et restent fréquentés par les classes aisées, puisqu’elles étaient les seules à pouvoir s’offrir des loisirs de ce type.

L’essor du modernisme grâce à la bourgeoisie

Le Passeig de Gràcia a profondément évolué, mais certains lieux ont traversé le temps avec lui. C’est le cas de la bijouterie Bagués-Masriera, située au numéro 41. Elle se caractérise par ses pièces originales et ses talentueux artisans qui puisent leur inspiration dans le modernisme ou l’Art Nouveau. Depuis 1950, elle occupe le sous-sol de la Casa Amatller. Cette dernière a été construite en 1898 par l’architecte Josep Puig i Cadafalch, à la demande du chocolatier Antoni Amatller pour s’y installer. Le président de la prestigieuse boutique, Joan Oliveras Bagués, nous raconte qu’“être dans cette maison, c’est notre contribution au modernisme de l’oeuvre de Puig i Cadafalch (…) nous partageons le même voyage créatif. Notre emplacement dans l’un des joyaux de l’architecture barcelonaise et internationale, si représentative du modernisme génère des connexions historiques et créatives, et une symbiose en terme de prestige”.

Avec un tout premier atelier né en 1839, la marque a été témoin du développement de la bourgeoisie barcelonaise. Le président nous explique que cette classe sociale “a sans aucun doute, mais pas de façon homogène, été porteuse du modernisme en soutenant les propositions créatives des artistes. Évidemment nous nous sentons attachés à cette bourgeoisie qui a su interpréter le progrès culturel, économique et social, en ayant des points de vue liés à l’avant-garde créative internationale. La bourgeoisie a compris que Barcelone était une ville capable de se présenter au monde avec une proposition propre et singulière. Des mouvements créatifs l’ont soutenu, comme Bagués-Masriera.” Le Passeig de Gràcia fut donc un premier pas vers le rayonnement de la capitale catalane.

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Le tournant des JO

Il faudra ensuite attendre près d’un siècle pour que le Passeig de Gràcia soit marqué par une autre période: celle des Jeux Olympiques de 1992. Cet événement historique a profondément bouleversé Barcelone, grâce aux travaux titanesques qui ont changé le paysage et à la visibilité internationale que les J.O lui ont apporté. Núria Miret affirme “qu’avec l’attractivité de la ville à cette époque, les marques ont absolument voulu avoir leur boutique sur le Passeig de Gràcia”. Au cours du XXe siècle, de nombreux sièges de banques se sont également installés sur l’avenue. Depuis, certains ont fermé pour laisser place à des boutiques ou hôtels de luxe. Mango a acheté le bâtiment de Banco Sabadell au numéro 36 en 2010. Un an avant, aux 38-40 de la rue, c’est l’hôtel 5 étoiles Mandarin Oriental qui remplace Banco Hispano Americano.

Jorge Monje est à la tête de cet établissement de luxe depuis quelques mois. Si le lieu barcelonais présente tout ce qu’il y a de plus moderne, il reste pourtant un bâtiment historique nous confie le directeur: “Je crois que le secret le mieux gardé du Mandarin, c’est son spa de 1000m2 qui se situe dans l’ancienne chambre forte au sous-sol”. L’hôtel a conservé des éléments du siège de banque datant de 1955. Son bar Banker’s abrite un mur de coffres-forts authentiques, qui donnent une touche unique au lieu.

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« Le Passeig de Gràcia ne serait pas ce qu’il est sans le Mandarin Oriental, et inversement » analyse Jorge Monje. La symbiose entre les deux se traduit par diverses collaborations mais aussi par l’architecture: “on a une véritable sensation de continuité entre la rue et l’hôtel grâce à l’allée qui unit les deux” explique-t-il.

Depuis l’installation de hôtel, les bénéfices seraient nombreux pour Passeig de Gràcia. Le Mandarin Oriental aurait donné une nouvelle dynamique à l’avenue avec sa clientèle venant des quatre coins du monde. “Nous avons une offre de suites très haut de gamme, ce qui a attiré de nouveaux vacanciers à Barcelone. Leur fort pouvoir d’achat est intéressant pour les boutiques autour de nous et même la ville en général. C’est notre contribution » explique Jorge Monje. Le succès de l’élégante avenue vient donc de son histoire, mais aussi des commerces et monuments présents sur les 1,5 km de long. La perpétuelle hausse de l’offre engendre une hausse de l’attractivité, faisant du « Passeig de Gràcia une destination à elle-seule” conclut le directeur. Une destination pour laquelle il faut débourser tout de même plusieurs centaines d’euros la nuit.

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