Opinion de Nico Salvado, fondateur d’Equinox
La principale image de l’inauguration du parlement sorti des urnes du 21 décembre est sans doute celle des sièges vides des députés qui sont en prison et remplacés par des rubans jaunes, symbole du souvenir. Une autre photo choc: pour la première fois dans l’histoire du parlement catalan, les bancs du gouvernement étaient vides. Il n’y a aucun précédent historique. Même dans le parlement post-franquiste, en 1978, le président revenu d’exil Josep Tarradellas avait pu s’asseoir à la place qui était la sienne.
Le discours du doyen d’âge, qui présida le début de la séance, était probablement le moment le plus intéressant de la journée. Le personnage, Ernest Maragall, est l’incarnation physique du catalanisme et de son évolution vers l’indépendantisme. Il est le petit-fils du poète Joan Maragall, qui à la fin du 19eme siècle a traduit sa défense du catalanisme en vers. « Oh drapeau catalan! notre cœur t’est bien fidèle : tu voleras comme un oiseau brillant par-dessus nos aspirations, pour te voir souverain nous lèverons les yeux au ciel » écrivait-il en 1898 dans le poème « Cant de la Senyera ». Toutes les œuvres du poète ont été interdites sous la dictature franquiste.120 ans plus tard, son petit-fils en prononce les premiers mots dans le parlement qui rouvre ses portes trois mois après sa fermeture forcée par l’article 155 de la Constitution espagnole.
Ernest Maragall est également le frère de Pasqual Maragall, qui fut président de la Catalogne en 2003. A cet époque, socialistes de Catalogne et d’Espagne, souverainistes catalans de centre-droit et indépendantistes de gauche avaient uni leurs forces pour une réforme du statut de l’autonomie qui permettait un meilleur ancrage de la Catalogne au sein de l’Espagne, en modifiant notamment les relations fiscales et reconnaissant la singularité culturelle de la Catalogne. Une réforme votée par 70% du Parlement catalan, par les deux tiers du Congrès des députés espagnols et ratifié par un référendum en Catalogne.
Las, Mariano Rajoy, alors dans l’opposition, fit appel au Conseil Constitutionnel pour faire tomber la réforme du statut. Ce qui explique en large part la situation d’aujourd’hui. Peu à peu, déçus de la gestion gouvernementale nationale, les socialistes catalans ont rompu avec le parti de la rose pour devenir indépendantistes. Ernest Maragal en fait partie. Député de Catalogne, parlementaire européen, secrétaire général de la Generalitat, l’homme a fait tout son parcours politique au sein du socialisme. Aujourd’hui, il est élu sur la liste indépendantiste d’Oriol Junqueras. Maragall est la traduction sociale d’un changement d’époque. Âgé de 75 ans, dans un moment politique obsédé par le jeunisme, son discours était intéressant.
Maraguall a tenté de préserver l’esprit de la législature antérieure en débutant son discours par des salutations à Carles Puigdemont et ses ministres qu’il considère comme le gouvernement légitime de la Catalogne. L’Espagne s’était réconciliée avec elle-même lorsque le Congrès espagnol avait adopté la réforme du statut d’autonomie en reconnaissant les particularités de la richesse de ses régions se rappelle Maragall. Avant que les conservateurs de Mariano Rajoy ne fassent capoter l’opération. Depuis, selon le doyen du parlement, « l’état espagnol ne sait pas gagner, il sait mettre en échec. Il ne sait pas partager, il sait imposer, humilier et châtier ». Un discours glaçant quand il est prononcé depuis le perchoir présidentiel, devant des sièges vides remplacés par un ruban jaune.
Avec « le processus séparatiste, la société civile a tenté de survivre en tant que catalane » sentence le doyen du parlement. Ernest Maragall revendique l’héritage du 1er octobre, estimant que les élections du 21 décembre ne sont que la confirmation de la victoire indépendantiste dans les deux scrutins. Il semble que cet esprit ne sera pas mis en avant lors de cette nouvelle législature.
Le discours du nouveau président du parlement, Roger Torrent, a été plus que consensuel. Il n’a pas prononcé une seule fois le mot « indépendance ». La lourde répression judiciaire de l’État espagnol laisse peu de marge de manœuvre à la majorité indépendantiste
« Le pays sera toujours à nous » a conclu Maragall, modifiant le slogan « les rues seront toujours à nous » scandé par l’extrême-gauche dans les manifestations et repris par les indépendantistes depuis les violentes charges policières lors du référendum.
Le comportement inapproprié d’Inès Arrimadas
Le camp indépendantiste parait se relever péniblement d’un K.O. Trois personnes en prison, cinq en exil, les anciens ministres en liberté provisoire n’ont plus de passeport, et dans un an, le procès de la déclaration d’indépendance va probablement se traduire par de lourdes peines de prison, de fortes amendes et des peines d’inéligibilité. La sanction est passée et elle est sévère.
Paraissant imperméable à la tristesse ambiante, la première intervention publique de la chef de l’opposition Inès Arrimadas, au milieu des rubans jaunes, s’est trouvée en total décalage avec la gravité de la journée. Cette session parlementaire était en effet la première depuis l’application de l’article 155, la destitution du gouvernement et les poursuites judiciaires ponctuées d’incarcérations.
Cherchant le bon mot sarcastique sans jamais le trouver, Arrimadas a vertement critiqué le discours d’Ernest Maragall. Elle a jugé que ce n’était pas un discours de président d’ouverture parlementaire, mais un discours d’un meeting indépendantiste. Irrespectueusement, Arrimadas a cru bon d’ajouter que Maragall n’avait pu prononcer son discours qu’en qualité de parlementaire le plus âgé comme le prévoit le règlement de la chambre.
Inès Arrimadas, dans le pure style de Ciutadans, n’arrive pas à prononcer une parole publique sans tenter d’y placer une blague. Et le niveau n’est jamais très haut. Lors de sa première conférence de presse dans l’enceinte du parlement, elle avait rappelé que l’on « ne gouvernait pas la Catalogne en mangeant des moules à Bruxelles ». Inès Arrimadas ne peut pas critiquer que Carles Puigdemont veuille être un « président par Skype » alors qu’elle est la chef de l’opposition qui truffe ses discours de gags adolescents de niveau Snapchat.
Pourtant Inès Arrimadas, lorsqu’on la rencontre personnellement, est une personne intelligente et cultivée. Elle sait néanmoins que son électorat est dépolitisé, vote rarement, et a placé un bulletin dans l’urne le 21 décembre par peur du projet indépendantiste. Pas forcément pour adhérer au programme de Ciutadans. Arrimadas tente de fidéliser cet électorat avec des punchlines chocs.
Nous ne soutenons ici nullement le projet indépendantiste, pas plus que nous condamnons les thèses unionistes. Cependant, le camp indépendantiste a payé son tribut, a subi une sanction lourde. Le message est passé. Si un élève est en colle tous les samedis matins, le professeur doit-il encore l’humilier publiquement?