Artur Mas, celui qui a donné vie au processus indépendantiste moderne depuis 2012, fait un nouveau « pas de côté » en abandonnant la présidence de son parti le PDeCAT.
Il y a deux ans quasiment jour pour jour, le 12 janvier 2016, Artur Mas a vu lui échapper la présidence de la Catalogne, alors qu’il pensait être de nouveau investi après son mandat commencé en 2011. Son parti de droite (Convergència) et le parti d’Oriol Junqueras de gauche (ERC) se rassemblèrent à l’époque en une liste unique, Junts Pel Sí, afin de conduire la Catalogne vers le paradis indépendantiste. Seule l’extrême-gauche indépendantiste de la Cup fit bande à part, ne voulant pas s’amalgamer aux libéraux d’Artur Mas. Junts Pel Sí n’obtient pas la majorité absolue en sièges de députés (62 sur 68) et doit demander le soutien de la Cup qui a obtenu 10 sièges.
Artur Mas, qui se voulait le messie de la cause indépendantiste, va pouvoir vivre son chemin de croix. Hors de question pour La CUP de voter pour son ennemi numéro 1, l’incarnation physique, selon ces anti-capitalistes, de la corruption, du libéralisme et des coupes budgétaires dans les programmes sociaux. Après trois mois de négociations infructueuses, le Mont Golgotha d’Artur Mas sera le parc de la Ciutadella où, dans un coup de théâtre aussi inouï que soudain, le dimanche 12 janvier 2016, le parlement de Catalogne investira Carles Puigdemont 130e président de la Generalitat.
La fin
L’homme, inconnu du grand public, est maire de Gérone. De centre-droit, il appartient au parti d’Artur Mas. Son investiture a été négociée entre les équipes de Mas et la Cup. Pour Mas, avoir un homme de son parti investi président est une bonne chose. Mais Carles Puigdemont est allé plus loin, plus vite et plus fort que ne l’avait imaginé son prédécesseur, conduisant la Catalogne à sa déclaration d’indépendance et la mise sous tutelle de Madrid en guise de sanction.
Le chemin que continue de suivre Puigdemont, tentant de se faire investir président tout en restant en Belgique, déplaît fortement à Artur Mas. Le courant de centre-droit indépendantiste catalan a besoin d’un chef. Présent sur la scène politique depuis 1997 lorsqu’il est devenu ministre de l’Économie catalan, Artur Mas était le leader de ce mouvement de centre-droit puisant ses forces au sein de la bourgeoisie barcelonaise et dans la Catalogne rurale géronaise.
C’est Jordi Pujol, dirigeant de la Catalogne pendant 30 ans qui l’avait choisi pour dauphin. Mais Pujol tomba de son trône, l’été 2014, au moment où il confessa avoir placé une fortune en Andorre afin d’échapper au fisc espagnol.
Son parti, Convergència, se retrouvait au centre d’une multitudes d’affaires de corruption. A tel point que le mouvement changea de nom pour se baptiser Partit Democrata Europeu Catalan (PDeCAT). Mais l’aura du parti décline au même rythme que celle d’Artur Mas depuis 2015. Les affaires de corruption et la rapidité du mouvement indépendantiste laissent plus d’une fois l’ancien président sur le bord du chemin. Et même s’il est poursuivi par la justice pour avoir organisé une consultation indépendantiste en 2014, beaucoup doutent encore de la sincérité de son engagement indépendantiste. Certains diront qu’il est devenu indépendantiste par calcul politique pour se maintenir au pouvoir en faisant oublier les affaires de corruption frappant son parti et tourner la page des politiques de rigueur mises en place au début de son mandat. D’autres diront que le pragmatique Artur Mas a évolué vers le séparatisme, comme une grande partie de la population catalane.
Le succès
Carles Puigdemont n’a pas voulu concourir aux dernières élections du 21 décembre sous la marque PDeCAT et a préféré crée sa propre liste « Junts Per Catalunya ». Les sondages annonçaient un massacre pour la droite indépendantiste qui devait se faire écraser par la gauche d’ERC. Carles Puigdemont réussit à inverser la vapeur et est arrivé devant la gauche. Il revendique désormais non seulement la présidence de la Catalogne mais aussi le leadership du mouvement indépendantiste politique.
Aujourd’hui au siège de son parti, devant un parterre de journaliste, Artur Mas a finalement annoncé sa démission de la présidence. Il se dit conscient du nouveau chapitre politique qui s’ouvre avec Carles Puigdemont qui tente de redevenir président de la Catalogne depuis Bruxelles. « Je suis d’accord avec les idées de Carles Puigdemont… plus ou moins » nuance malicieusement l’ancien président. « Vous ne m’avez jamais entendu dire du mal de Puigdemont publiquement » lâche-t-il ensuite entre quelques silences lourds de sous-entendus. « Je ne veux pas que les choses se ralentissent à cause de moi » conclut-il pour tirer sa révérence et laisser la voix libre à Puigdemont.
Le calendrier
La seconde raison du retrait de l’ancien président est due au calendrier judiciaire qui l’attend. Suite à son implication dans le processus indépendantiste, l’ancien président est frappé d’une peine d’inéligibilité par le tribunal suprême. Il a également dû rembourser les frais engendrés par l’organisation de la consultation indépendantiste du 9 novembre 2014. Le fisc espagnol a du coup saisi son célèbre appartement de la Carrer Tusset de Barcelone. Enfin, Artur Mas va, dans les prochains jours, être convoqué par la justice espagnole pour son rôle dans le référendum indépendantiste.
Pour gérer cet agenda judiciaire, il veut être libre de ses mouvements. Certains évoquent, avec ce retrait, la sentence d’une nouvelle affaire de corruption frappant son ancien parti qui devrait tomber avant la fin du mois. « Mes avocats ne m’ont jamais conseillé de faire une chose pareille » se défend-il.
Artur Mas ne se retire toutefois pas de la vie politique et affirme dans une déclaration en français recueillie par Equinox qu’il continuera de défendre le processus indépendantiste internationalement.