Exil, suspension de l’autonomie catalane, hémorragie des entreprises, poursuites judiciaires. Rien n’a pu arrêter Carles Puigdemont qui remporte ces élections catalanes et va former un gouvernement grâce à la majorité indépendantiste.
« Españoles, el articulo 155 ha muerto ». Hier soir dans le très chic hôtel Catalonia Eixample 1874, antre de la soirée électorale de Junts Per Catalunya, le parti de Puigdemont, un orateur parodiait l’annonce télévisée du décès du dictateur en 1975 : « Españoles, Franco ha muerto ».
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La campagne électorale se termine pour les « Carlistes » comme elle a commencé : l’État espagnol est un régime néo-franquiste et a été battu dans les urnes par l’incarnation physique de la démocratie qui est Carles Puigdemont.
Surprise
Lors de la soirée électorale, les amis de l’ancien président semblaient eux-même surpris du résultat qui a placé leur chef en tête des listes indépendantistes avec 34 députés (21,65% des voix), contre 32 élus (21,39%) pour les séparatistes de gauche d’ERC. Un des responsables de la communication de Carles Puigdemont a envoyé un SMS depuis Bruxelles à la presse internationale : « As you see, we are the comeback kids ».
En effet, cette nuit du 22 décembre sonne le retour du président déchu. Carles Puigdemont va-t-il revenir physiquement en Catalogne pour se faire réinvestir président par la majorité indépendantiste parlementaire? En tous cas, il l’a promis tout au long de sa campagne. Puigdemont espère négocier une sorte d’amnistie judiciaire avec le gouvernement de Mariano Rajoy. S’estimant légitimé par sa victoire dans les urnes, Puigdemont demande le retrait de l’article 155 de la constitution (mise sous tutelle de la région par Madrid) et l’arrêt des poursuite pénales contre les organisateurs du référendum du 1er octobre. Si Mariano Rajoy refuse, Carles Puigdemont peut partir en prison une fois un pied posé sur le territoire espagnol.
Même dans l’hypothèse oú Puigdemont ne reviendrait pas personnellement en Catalogne, il demeurera l’homme fort du pays. Il placera à la tête de la Generalitat un(e) proche et managera les affaires catalanes depuis Bruxelles.
Convergences
Puigdemont va également devenir le chef incontesté du parti d’Artur Mas. L’ancienne Convergencia qui a régné sur la Catalogne pendant deux décennies et s’est mutée, après moultes affaires de corruption, en PdeCat : le Parti Démocrate Européen Catalan. Le mouvement est devenu plus indépendantiste que son ancêtre Convergencia. Carles Puidemont va forcer la seconde mutation de Convergencia pour transformer le PdeCat en son parti personnel : « Junts Per Catalunya ».
Que le parti centriste indépendantiste s’appelle Convergencia, PdeCat ou Junts Per Catalunya, il reste le mouvement central de la Catalogne qui gagne les élections. Carles Puigdemont a pu grâce à l’ancienne Convergencia s’appuyer sur un réseau d’influences qui passe par la majorité des mairies catalanes, des mouvements associatifs, culturels et médiatiques. Pour ne pas dire clientélistes. Comme le dit un célèbre journaliste local : « la Catalogne est génétiquement Convergente ».
Oriol Junqueras, l’ancien vice-président de la Generalitat, qui a voulu concurrencer Carles Puigdemont avec le parti de gauche indépendantiste ERC a pu le constater à ses dépens. Depuis 1978, ERC tente de prendre la main pour diriger la masse indépendantiste catalane. Et depuis sa prison madrilène, où il est enfermé suite à l’organisation du référendum Oriol Junqueras pensait son tour venu. Tous les sondages le disaient. Et tous les sondages se trompaient. ERC a été vaincu par Puigdemont. Et une fois encore, ERC va devoir appuyer le parti de Puigdemont en restant le second couteau pour former un gouvernement indépendantiste avec l’extrême-gauche de la Cup.
Contrairement à la France, en Catalogne, on ne vote pas directement pour un président, on vote pour des députés. Il y a 135 députés au Parlement catalan, ce sont eux qui ensuite votent pour investir un président. Le candidat à la présidence, une fois le Parlement constitué, devra compter 68 députés qui votent en sa faveur (la majorité absolue des parlementaires) pour devenir président. Les indépendantistes disposent de 70 sièges et formeront donc le prochain gouvernement.
Victoire frustrée
L’arrivée en tête de l’anti-indépendantiste Inès Arrimadas avec ses 25,37 % est donc une victoire symbolique. Lourdement symbolique. Pour la première fois dans l’histoire de la Catalogne, une candidature clairement contraire à l’indépendance se place en tête des suffrages. Avec un score très haut, Ciutadans possédera 37 sièges dans le prochain parlement. Il y a 10 ans, le parti n’avait que 3 parlementaires.
Cependant, c’est une victoire en trompe-l’œil car les partis contraires à l’indépendance ne peuvent pas réunir autant de députés que les séparatistes. Les socialistes ont obtenu un score décevant ne dépassant pas les 20 parlementaires, Podemos stagne avec ses 8 élus et surtout le PP de Mariano Rajoy finit comme étant le parti le moins voté de Catalogne et n’obtient que 3 élus. Situation doublement compliquée pour le chef du gouvernement espagnol qui s’est fait aspirer ses électeurs par Arrimadas. Et Puigdemont, que Rajoy était censé avoir mis hors d’état de nuire, arrive premier du bloc indépendantiste.
Le parti au pouvoir en Espagne obtient un ridicule 4,24% des suffrages en Catalogne, deuxième région la plus importante du pays. Le parti de droite Ciutadans va devenir un sérieux concurrent du PP lors des prochaines élections municipales et européennes de 2019 dans toute l’Espagne. Le mandat de Mariano Rajoy à la tête du pays est fragilisé. Les indépendantistes tenteront de s’infiltrer dans la brèche pour continuer de dérouler leur feuille de route vers construction de la république catalane et la séparation d’avec l’Espagne.
Résultats définitifs – Election Catalogne 2017
Ciutadans : 25,37% et 37 députés
Junts Per Catalunya : 21.65% et 34 députés
ERC : 21.39% et 32 députés
Socialistes : 13.88% et 17 députés
En Comu Podemos: 7.45 % et 8 députés
La Cup : 4.45% et 4 députés
PP : 4.24% et 3 députés
L’investiture du président de la Catalogne aura lieu au plus tard le 6 février prochain.