Division. Les indépendantistes se présenteront le 21 décembre en ordre dispersé. Seront têtes de liste: Carles Puigdemont depuis Bruxelles, Oriol Junqueras pour l’instant incarcéré et la CUP, chacun proposera sa candidature.
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L’électeur indépendantiste aura l’embarras du choix le 21 décembre prochain. En Catalogne depuis toujours s’affrontent les deux grandes familles du nationalisme et de l’indépendantisme. Il y a le centre-droit de Convergència (devenu entre-temps Partit Demòcrata Europeu Català) qui a gouverné la Catalogne sous la présidence de Jordi Pujol entre 1980 et 2003, d’Artur Mas entre 2010 et 2016 et de Carles Puigdemont entre janvier 2016 et octobre 2017. Le second clan de l’indépendantisme est Esquerra Republicana de Catalunya (ERC): la gauche républicaine. Éternel second rôle, les leaders d’ERC ne sont jamais allés plus loin que la vice-présidence de la Generalitat entre 2003 et 2010 lorsque les socialistes dirigeaient la Catalogne. Oriol Junqueras a soutenu depuis l’opposition Artur Mas entre 2012 et 2016, avant d’accéder au poste de vice-président de Carles Puigdemont.
Une conséquence du pacte historique qu’ont signé les familles PDeCAT et ERC en septembre 2015 pour former la grande coalition indépendantiste Junts pel Sí. Candidature unique des deux partis: officiellement pour mener la Catalogne vers l’indépendance, officieusement un coup de Trafalgar d’Artur Mas. Le PDeCAT, après une large série d’affaires de corruption et de coupes budgétaires imposées par la crise économique, se savait électoralement condamné en cas de candidature en solitaire d’Artur Mas. En pleine effervescence indépendantiste, le PDeCAT a réussi à imposer le scénario que les partis indépendantistes ne pouvaient pas se présenter séparément face à l’Etat espagnol. En coulisses, c’est la jubilation au PDeCAT: ERC emmène les électeurs et PDeCAT les élus. Du côté de la gauche indépendantiste, on maudit ces « convergents » qui accaparent le pouvoir.
La suite est connue: Junts Pel Sí n’obtient pas la majorité absolue et nécessite l’appui de l’extrême-gauche de la CUP pour former une majorité. En échange, les anti-capitalistes demandent la tête d’Artur Mas, trop capitaliste et pas assez indépendantiste. Il est remplacé par l’historique du PDeCAT Carles Puigdemont, qui est plus compatible avec les valeurs de la CUP.
Une campagne depuis une cellule carcérale
Deux ans plus tard, après le fiasco de la Déclaration Unilatérale d’Indépendance (DUI), les mêmes acteurs sont en place. Depuis qu’il a accepté la coalition de Junts Pel Sí, Oriol Junqueras n’a qu’une idée en tête: devenir le 131e président de la Generalitat. Artur Mas, qui complote en coulisses, tente à nouveau de proposer la liste unique entre PDeCAT et ERC. Avant d’entrer en prison avec ses collègues gouvernementaux pour avoir proclamé l’indépendance, Oriol Junqueras a laissé une consigne à Marta Rovira, sa main droite qui dirige le parti: aucune coalition électorale avec le PDeCAT.
Les sondages sourient à Junqueras: plus de 40 députés sont annoncés contre une petite dizaine pour le PDeCAT. Oriol Junqueras est donc tête de liste de son parti pour le 21 décembre. Pour l’instant, il fait campagne depuis la cellule de sa prison madrilène à coup de tweets et de tribunes dans la presse indépendantiste. Il espère que sa détention se termine avant le 21 décembre. Le programme d’ERC après le cul-de-sac de la DUI est de calmer le jeu. Faire une pause, respirer et trouver une nouvelle stratégie. Si l’indépendance est toujours à l’ordre du jour, la voie de l’unilatéralité sera abandonnée. Si Junqueras veut sortir de prison, il devra montrer patte blanche devant la juge: reconnaître que la DUI était symbolique, comme l’a fait la présidente du Parlement la semaine dernière. Si il souhaite continuer la lutte indépendantiste, elle devra se faire dans la légalité et dans l’ordre constitutionnel. De fait, la campagne électorale d’ERC devrait reprendre le même ton: une indépendance à petit feu avec un processus léger, avec vue sur les quinze prochaines années.
Une campagne depuis Bruxelles
Dans le camp de Carles Puigdemont les choses sont moins claires. Artur Mas et ses amis, voudraient également abandonner la voie unilatérale pour revenir dans le cercle des négociations avec Madrid. Pendant des semaines, Artur Mas et les associations indépendantistes ont fait le tour des médias catalans pour mettre la pression à ERC pour faire une liste unique dirigée par Carles Puigdemont. Sans succès comme nous avons pu le voir. Du coup ça sera une simple liste du PDeCAT, avec à sa tête Carles Puigdemont. « Un peu à l’étroit pour mon envergure de président, je ne sais pas si je vais y aller » tergiverse Puigdemont qui voulait mener une liste transversale avec tout le camp indépendantiste derrière lui. « Il est devenu complètement mégalo » s’agace-t-on en privé au PDeCAT. Pour faire bonne figure, la liste du PDeCAT pourrait porter un nom prestigieux comme « Liste du Président ». Selon le calendrier judiciaire et les délais d’extradition, Carles Puigdemont, si il rentre en Espagne, ne sera pas là avant mi-janvier. L’ancien président fera donc campagne depuis Bruxelles.
Puigdemont s’est recréé un petit cabinet composé de quelques fidèles et des assistants parlementaires des députés européens indépendantistes qui le traitent comme le président de la Catalogne. Le programme électoral de Puigdemont semble flou. Alors que la semaine dernière, il tenait des propos très durs contre l’Europe interpellant ad hominem ses dirigeants, aujourd’hui dans le journal belge, « le Soir » il se dit prêt à passer un accord avec Mariano Rajoy et qu’une solution ne passant pas par l’indépendance de la Catalogne pourrait être trouvée. Le « pont Aeri » Barcelone-Bruxelles risque de donner une campagne sans un axe défini avec une dose quotidienne d’improvisations et d’incohérences. Personne au PDeCAT n’a envie de se lancer dans la galère: la numéro deux du parti, Marta Pascal passe son tour, ainsi que Santi Vila, seul ancien ministre catalan à ne pas être en exil ou en prison pour avoir démissionné la veille de la DUI.
Le seuil des 50%
Pas de changement du côté de la CUP qui, comme en 2015, se présentera en solo. Le parti d’extrême-gauche a toujours la même ligne: considérer la Catalogne comme indépendante et désobéir à Madrid. Avec ses trois listes, si il veut garder une crédibilité, l’indépendantisme devra dépasser la barre des 50%. Un taux jamais atteint: le meilleur score du séparatisme en 2015 fut de 48,15 %. Du côté de l’opposition à l’indépendance, les listes sont aussi désunies. L’électeur « constitutionnaliste » aura le choix entre Ines Arrimadas de Ciutadans qui se voit bien en Macron catalane, le socialiste Miquel Iceta et le très conservateur du Partido Popular Xavier Albiol. Le ni-ni (ni indépendance, ni anti-indépendance) sera représentée par la version locale de Podemos: Catalunya en Comú, le parti d’Ada Colau.