TV3 est la chaîne publique de la Catalogne. A partir du 28 octobre, la gestion et les programmes de TV3 seront, pour la première fois de son histoire, dirigés par le gouvernement espagnol qui juge le média propagandiste et à la solde des indépendantistes.
Avec l’article 155 de la Constitution, en réponse à la volonté d’indépendance de la Catalogne, le gouvernement espagnol prendra à partir de ce week-end le contrôle de toutes les compétences de la Generalitat. Une des dispositions, la plus symbolique et polémique, est la prise de contrôle directe des médias publics de Catalogne. L’État espagnol juge nécessaire de prendre le contrôle de la chaîne pour rétablir «la transmission d’une information véridique, objective et équilibrée, respectueuse du pluralisme politique» qui serait bafouée par le gouvernement de Catalogne indépendantiste.
Créée sous l’impulsion du président Jordi Pujol, TV3 a émis pour la première fois en septembre 1983 et de manière régulière à partir de janvier 1984. Alfons Quintà, journaliste de renom, fut choisi par le président Pujol pour mettre en branle TV3.
A l’origine, le président Pujol voulait des programmes en castillan pour sensibiliser le plus grand nombre de spectateurs possible au catalanisme. Au contraire, Alfons Quintà a voulu une télévision uniquement en catalan, avec son propre réseau d’émetteurs et qui n’offre pas des programmes folkloriques. Le journaliste fit appel à une équipe de professionnels de médias américains, à l’époque très en avance dans le secteur. En février 1984, le premier directeur du journal télévisé de la mi-journée, Salvador Alsius, passa un mois à New-York pour observer comment les grandes chaînes américaines réalisaient leurs programmes informatifs.
A partir de 1985, TV3 élargit sa couverture aux régions où la catalan est utilisé: Pyrénées Orientales françaises, Valence et Baléares en Espagne et Andorre. Peu à peu, TV3 ouvre des rédactions locales dans les différentes provinces catalanes. La chaîne crée ses propres productions et fictions. Au même moment que Barcelone en 1992, TV3 prend de l’ampleur avec les Jeux Olympiques. En cette année 92, la chaîne importe de France, le concept du « Téléthon » qui sera baptisé « Marathon« .
Au fil des années, la chaîne donnera naissance à des programmes qui vont devenir cultes comme Alguna pregunta més? (APM), qui est très similaire à la grande époque du Zapping de Canal +. Les programmes satiriques de Toni Soler font partie du paysage audiovisuel catalan. A la façon des Guignols de l’Info, mais avec des vrais comédiens. Chaque semaine, Crackòvia se moque du foot et Polònia de la politique. L’information a aussi ses vedettes sur TV3: Mònica Terribas, Lídia Heredia, Carles Costa, Toni Cruanyes ou Núria Solé. Au niveau des audiences, si TV3 caracolait en tête du palmarès du paysage audiovisuel catalan avec un audimat au-dessus des 20%, elle doit depuis trois ans se contenter d’une dizaine de points.
Une chaîne de propagande indépendantiste ?
Au sein de la rédaction de TV3, il y a 400 journalistes. « Impossible qu’ils pensent tous de la même manière » nous confie une source connaissant bien la maison. Cet habitué des lieux explique comment est construite la hiérarchie de l’info au sein de la télé catalane. « On offre toujours la parole aux sept nains (c’est ainsi que sont qualifiés en interne les sept partis politiques principaux de Catalogne). Le gouvernement de Catalogne a toujours le double du temps de parole, puisqu’on comptabilise la prise de parole de l’institution, puis celle du parti, mais comme l’institution est dirigée par le parti, ça leur fait un bonus (…) La grande difficulté au sein de TV3, est de savoir chaque jour qui aura la priorité dans l’ordre et la durée du passage: les déclarations et les positions du conseil des ministres espagnol ou du conseil des ministres catalans. Parfois, l’info locale est plus importante que l’actu nationale. On essaie de faire une analyse qualitative. »
Les critiques de TV3, principalement les partis unionistes Ciutadans et le Partido Popular, ainsi que la presse espagnole, ne partagent pas cet avis d’équilibre au sein de la chaîne. De nombreux griefs sont soulevés. Par exemple, le fait que chaque année, TV3 retransmette en direct et en intégralité la manifestation indépendantiste de la Diada le 11 septembre. Lors des derniers Jeux olympiques de Rio, TV3 avait séparé les athlètes espagnols et catalans dans la répartition des médailles. Les sportifs apparaissaient systématiquement avec le drapeau catalan dans le bandeau sous-titrant leur nom. Les détracteurs de la chaîne déplorent également l’usage d’un vocabulaire connoté. L’Espagne devient l’État espagnol, la police nationale se convertie en police étatique, l’équipe de foot d’Espagne est aussi qualifiée de sélection étatique. A l’inverse, tout ce qui concerne la Catalogne reçoit le vocable de « national ».
TV3 est aussi connue pour ses dérapages contre l’Espagne. Lorsque le Tribunal constitutionnel espagnol a suspendu la loi catalane sur la pauvreté énergétique qui permettait de ne pas couper le courant aux famillex en difficulté, la journaliste Empar Moliner a voulu protester. Pour que les familles sans courant puissent se réchauffer, elle a donné une « astuce »: faire du feu en brûlant la Constitution espagnole. Des paroles aux actes, la journaliste a fait flamber en direct un exemplaire de la Constitution, soulevant une tempête de protestations dans toute l’Espagne.
Une chaîne à la solde du gouvernement catalan ?
Comme TV3 est une télévision publique, sa direction est nommée par le pouvoir institutionnel. En l’espèce par une commission du Parlement catalan. De fait, c’est la majorité au pouvoir qui nomme le directeur de la chaîne. L’actuel chef de TV3 est Vicent Sanchis, un très proche d’Artur Mas. Le directeur est sous l’accusation permanente des médias de Madrid et il a répondu hier en direct sur la Sexta, « que oui il était indépendantiste, mais que ça ne l’empêchait pas de faire son travail correctement, et que l’on ne demande jamais aux journalistes en faveur de l’unité de l’Espagne de se justifier. »
#DilemaPuigdemontARV
Pregunta al director Tv3
Es usted independentista?
Y Ferreras recibe una lección de periodismopic.twitter.com/0F9YyG5A7B— Donostia Bai (@Erramun2014) 24 de octubre de 2017
Mónica Terribas, icône journalistique de Catalogne, qui durant quelques années fut directrice de TV3, explique la chaîne sait résister aux pressions gouvernementales. Évoquant David Madi, le bras du droit du président Mas lorsque celui-ci était président de la Generalitat, Terribas analyse que « Madi a toujours fait deux erreurs: croire que tout ce que tu dis à télévision entre dans le cerveau des gens et les incite à voter. Il croit aussi que si tu changes les directeurs, tu changes le média. Ce n’est pas vrai. Les rédactions ont une identité de la culture du travail. TV3 et Catalunya Ràdio assument un rôle de service public et sont très fiers de ça ».
Le peu de crédibilité des chaînes publiques espagnoles
Avec l’article 155, le gouvernement espagnol va tenter de prendre le contrôle de TV3.
Une tâche ardue face à des journalistes qui n’obéiront pas facilement au pouvoir madrilène. Le syndicat de la chaîne dénonce « une attaque directe, indigne, impudique face à la liberté de la presse, de l’information et d’expression ». Les travailleurs de TV3 annoncent publiquement qu’ils entreront en résistance face à l’application de l’article 155. D’autant plus que la capitale espagnole a mauvaise réputation dans la gestion de ses propres médias publics. Le gouvernement conservateur, qui lui aussi nomme les directeurs des chaînes d’Etat, est souvent accusé de manipuler l’information et de chercher à orienter la ligne éditoriale.
A tel point, que le syndicat des journalistes de la télévision et radio publique, a émis un communiqué suite à la volonté du PP de vouloir prendre le contrôle de TV3. Le syndicat demande cohérence « au gouvernement et aux partis qui appuient l’application de l’article 155 de la Constitution. Le communiqué ajoute que « sans entrer dans un débat d’opinion qui ne nous appartient pas, nous pensons tout de même opportun de souligner le paradoxe qui suppose contrôler TV3 pour « garantir la transmission d’une information véridique, objective et équilibrée, respectueuse du pluralisme politique », quand sur RTVE ce mandat n’est pas accompli. La résultante serait d’appliquer cette même ligne à tous les médias publics, incluant l’étatique, alors qu’a été approuvée récemment une loi qui prétend garantir cet objectif et qui devrait être mise en pratique immédiatement. Les médias publics doivent servir au citoyen, jamais au gouvernement. À aucun gouvernement. »