Au restaurant, dans les rues ou le métro, on n’entend souvent qu’eux. Les Espagnols s’expriment très fort. Mais pourquoi ? Quelques éléments de réponses…
Loin de nous l’idée de véhiculer un stéréotype de plus sur les espagnols. Toutefois, il n’est pas diffamatoire de faire remarquer la capacité vocale du peuple hispanique. Le site internet Erasmus-Spain a fait le classement des clichés adressés à l’Espagne. Sans grande surprise, on retrouve le niveau sonore : « Les Espagnols ne parlent pas, ils crient. C’est souvent ce qui choque les étrangers, les Espagnols parlent plus fort que nous. Ce qui est sûr c’est qu’en rentrant en France tout le monde vous dit que vous parlez super fort. » Vous êtes prévenus. Y’aurait-il une raison scientifique ? Contactée par Equinox, cette orthophoniste barcelonaise nous éclaire sur la question : « Effectivement il y a eu déjà eu des tests. Des experts ont comparé les cordes vocales de plusieurs nationalités comme les Espagnols. Finalement, il n’y aucune différence. » Rien ne prouve scientifiquement que les Espagnols soient dotés du double des cordes vocales de Whitney Houston. « Je pense que cette façon d’élever la voix vient surtout du fait que l’Espagne est un pays bruyant. Les gens ont pris l’habitude de parler plus fort que le bruit extérieur » continue notre experte.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 9 millions d’Espagnols sont soumis à plus de 65 décibels. La plupart du bruit est causé par le trafic routier, les travaux, les scooteurs, les sirènes des forces de l’ordre ou plus récemment à Barcelone par exemple la cacerolada , le concert de casseroles indépendantistes. Le pays est même le plus bruyant d’Europe et le deuxième au monde après le Japon. En 2011, trois Espagnols sur quatre avouaient souffrir d’une pollution acoustique. Sylvie phoniatre français (professionnelle spécialisée dans la prise en charge des troubles de la voix, du langage et de l’audition) nous explique : « Le cerveau ajuste l’intensité vocale en fonction du bruit ambiant. C’est pourquoi nous parlons plus fort dans le bruit« .
À Madrid, pour lutter contre la cacophonie au restaurant l’association Oir Es Clave, qui vient habituellement en aide aux malentendants, a lancé en 2013 une opération de sensibilisation nommée « Comer sin Ruido » traduit littéralement par « manger sans bruit ». Le but de cette initiative est d’offrir un service de conseil aux restaurateurs et hôteliers qui cherchent à réduire le bruit en salle. Plusieurs chefs étoilés de la capitale font partie de ce projet. Svente Borjesson, directeur de l’association, s’est livré au site d’actualité anglais The Local : « Ici, on a clairement un problème avec le niveau de volume de nos conversations. » Le pureplayer El Espanol rapporte qu’en Espagne une conversation à voix basse atteint les 40 décibels. À voix haute, on peut monter jusqu’à 80. À titre de comparaison, en France une conversation normale peut varier entre 20 à 50 décibels, une discussion animée serait comprise entre 50 à 65.
Une langue sonore et chantante
Maggy, barcelonaise expatriée à Paris pour ses études, nous raconte avoir déjà eu quelques soucis lors de son arrivée en France. « Je n’avais jamais remarqué que ma voix portait comme ça jusqu’à ce que je vienne étudier à Paris. » Etudiante en Psychologie, la catalane fréquente régulièrement la bibliothèque de son école : « J’y allais pour travailler mais il m’arrivait de temps en temps de discuter avec mes camarades. Même si je chuchotais, je me faisais toujours remarquer ». La jeune femme avoue même avoir été plusieurs fois expulsée de la bibliothèque par la surveillante. « Mes copains me demandaient de parler moins fort, je leur répondais vous ne pouvez pas comprendre vous n’êtes pas espagnol ! » ironise t-elle. « On est festif et énergique, ça se ressent jusque dans la voix » conclut-elle. Le castillan ou le catalan sont en effet des langues sonores. Elles se prononcent avec énergie et conviction. Ce qui pousse sûrement ses utilisateurs à hausser le ton inconsciemment. Karim Joutet, professeur d’Espagnol à Barcelone et créateur du blog Espagnol pas à pas nous explique : « Ce sont des langues chantantes. C’est en grande partie à cause de l’accent tonique qui peut se déplacer dans le mot. En français, on a un léger accent tonique à la fin de chaque mot ou à la fin de chaque groupe de mots, ou de phrase. En espagnol, cet accent tonique est beaucoup plus marqué, intense, et peut se déplacer dans un mot. C’est pourquoi, un francophone trouvera toujours l’espagnol plus chantant et rythmé. »
León Felipe, poète et dramaturge espagnol, avait tenté en 1942 d’élucider la source du problème dans un essai intitulé « Pourquoi les Espagnols parlent si fort ».
De manière engagée et imagée, il nous explique que trois fois les Espagnols ont : « dû s’égosiller dans l’histoire jusqu’à se déchirer le larynx ». Tout au long de son essai, le poète parle de cri poussé dans l’histoire de l’Espagne. Des temps marquants à tout jamais. Pour lui, ce « vieux défaut » tient son essence dans le fait que les Espagnols descendent de Rodrigo de Triana, la vigie de Christophe Colomb, qui n’avait fait que son boulot en hurlant «Terre !» lorsqu’il avait aperçu le Nouveau Monde… La seconde explication fait référence à l’arrivée de la notion de Justice sur les terres de La Manche. Et enfin la dernière raison rappelle un cri de guerre « celui que nous avons crié sur la colline de Madrid, en 1936, pour prévenir le troupeau, pour inciter les bergers à la révolte, pour réveiller le monde » Ici, l’artiste évoque la bataille de Madrid où un ensemble de combats ayant pour cadre la province et la ville de Madrid a eu lieu au cours de la guerre civile espagnole. Et si León Felipe avait pu prévoir l’actualité espagnole de ces dernières semaines, avec tous ces cris venant de la rue, il aurait surement rajouté une quatrième raison.
Découvrez le poème de León Felipe lu sur scène :