Dans le quartier de l’Eixample à Barcelone, l’ensemble des habitants d’un immeuble ont reçu en juin une lettre leur indiquant la rupture de leur contrat de location. Soupçonnant un nouveau cas de spéculation immobilière, ces locataires se sont unis afin d’éviter leur expulsion imminente.
Photos: VJ/Equinox
Sur la façade du numéro 209 de la Calle Roger de Flor, les banderoles ont envahi les balcons. « Locataires en lutte » ou « Ceci est notre maison » peut-on lire sur les murs de l’immeuble situé à quelques pas de la Sagrada Familia. En juin dernier, les habitants des vingt-quatre logements ont reçu un courrier les informant du non-renouvellement de leur contrat de location afin de permettre la mise en vente de l’immeuble. Les résidents ont alors immédiatement suspecté un cas de spéculation immobilière et la possibilité que l’immeuble soit transformé en résidence touristique.
Cette situation illustre une nouvelle fois le phénomène de gentrification qui s’est intensifié à Barcelone depuis plusieurs années. La gentrification désigne un processus d’embourgeoisement urbain causé notamment par la montée des prix de l’immobilier. A Barcelone, l’augmentation de 19,6% du prix des loyers depuis 2007 a peu à peu contraint les foyers modestes vivant dans des quartiers anciennement considérés comme populaires à déménager dans les zones périphériques.
19 foyers expulsables
Parmi les vingt-huit appartements de l´immeuble, quatre sont inhabités. Sur les vingt-quatre locations restantes, cinq locataires ont signé des contrats de bail indéfinis (contrats signés avant 2013 et valables tout au long de la vie des locataires) et dix-neuf disposent de contrats temporaires ayant une durée variant de 3 à 5 ans. Ces derniers sont donc expulsables au terme de leur bail. Les autres ne le sont théoriquement pas, mais craignent d’autres pressions pour les déloger.
Si les habitants dénoncent une pratique immorale, elle n’en demeure pas moins légale. En Espagne, la Loi des Locations Urbaines (Ley de Arrendamientos Urbanos) autorise de telle rupture de contrat. Elle oblige uniquement les propriétaires à prévenir les locataires du non-renouvellement de leur contrat au minimum deux mois avant de mettre un terme à leur accord.
La résistance des locataires s’organise
Face à l’annonce de leur expulsion, les locataires du 209 de la Calle Roger de Flor ont choisi de s’unir et d’organiser une résistance. « On sait qu’on a très peu de temps, probablement entre 15 et 20 jours, pour créer une assemblée et agir avec d’autres associations de voisin « explique Victor Conejero, le porte-parole des résidents qui vit dans l’immeuble depuis 32 ans. Le mouvement est déjà soutenu par des organisations locales et le parti d’extrême gauche la CUP (Candidatura de Unidad Popular ). La mairie de Barcelone reste pour le moment silencieuse et explique ne pouvoir intervenir que s’il y a une malversation avérée. Afin de sensibiliser à leur cause et d’accroître la pression sur les autorités, les locataires ont aussi créé un site web nommé rogerdeflor209 qui regroupe des documents, des photos et un manifeste présentant leurs revendications.
Le premier locataire aurait dû quitter son appartement au début du mois de juillet mais il a finalement décidé de rester en signe de protestation. En novembre, il est prévu que la moitié des locataires aient quitté leur logement. L’éviction de ces locataires est loin d’être un cas isolé à Barcelone. « Il y deux autres situations similaires dans le quartier. On aimerait coordonner un blocus mais les processus de vente n’en sont pas au même stade d’avancement ce qui rend les choses compliquées » raconte Victor Conejero. Parmi les autre cas d’expulsion dans l’Eixample, on peut noter celui du 37 de la Calle Leiva. Dans ce cas, la situation est bien différente car la mairie a annoncé fin mai avoir racheté l’édifice pour permettre aux locataires de rester dans leur logement.
Un peu partout à Barcelone, des associations de quartiers s’organisent pour lutter contre la spéculation immobilière, la gentrification, le profit à tout prix. « Les investisseurs et les élites politiques madrilènes et catalanes veulent transformer Barcelone en un grand business, se désole Daniel, bénévole actif dans une association luttant pour préserver l’âme du quartier gothique, la gentrification menace toute la ville, il est urgent de stopper la destruction des commerces de proximité, remplacés par des magasins de souvenirs ou des chaînes de supermarchés et d’arrêter la spéculation immobilière qui rend l’accès au logement difficile pour les Barcelonais ».
Contrecarrer la déshumanisation de Barcelone
Conscient que les chances d’arrêter le processus d’expulsion sont minces, la plupart des résidents demande surtout à négocier avec le propriétaire. « J’aimerais rester bien sûr, mais batailler va nous coûter du temps et de l’énergie. Je préférerais qu’on soit tous unis pour se battre au maximum, mais chaque famille fait face à ses propres difficultés » se désole Victor Conejero.
Les locataires s’en remettent aussi à la Generalitat de Catalogne à laquelle ils demandent de mettre en place une suspension de cinq ans des ruptures de contrat locatifs dans le cas des ventes concernant l’intégralité d’un immeuble. Cette mesure permettrait d’éviter les stratégies spéculatives qui visent à transformer rapidement un bâtiment en propriété de luxe ou touristique. Au-delà de leur situation individuelle, c’est la déshumanisation de Barcelone que les locataires dénoncent et aimeraient contrecarrer. « Je sais que c’est le mouvement normal du capitalisme mais là c’est devenu exagéré. Nous voulons une ville faite de gens « conclut Victor Conejero, un brin résigné.