Depuis des années, la politique catalane est empoisonnée par de multiples cas de corruptions. La plus emblématique d’entre elles, l’affaire du Palau de la Musica, trouve son épilogue dans un procès fleuve qui se tient depuis lundi.
« CiU 3% » est un graffiti répandu dans les rues de Barcelone. Il fait référence à une interminable affaire de corruption liée au parti Convergencia (CiU) connue sous le nom de l’affaire du Palau de la Musica. Le parti, fondé par Jordi Pujol, aurait encaissé illégalement et pendant des années une commission de 3% en échange de l’octroi de marchés publics à différentes entreprises espagnoles.
« Vous avez un problème qui s’appelle les 3% »
Le début du feuilleton médiatique de l’affaire des 3% a commencé il y a 12 ans, quand le 24 février 2005 l’alors président de la Catalogne, le socialiste Pascal Maragall, lança à Artur Mas, chef de l’opposition : « vous avez un problème qui s’appelle les 3% ». A l’époque, le grand public n’avait jamais entendu cette expression des 3%. Il s’agissait d’un accès de colère du président Maragall pour mettre un coup de pression à son adversaire politique. Accusé de manquer de respect, le président Pascal Maragalll avait dû rétro-pédaler et présenter ses excuses à Artur Mas.
Parallèlement au jeu politique, les propos du président Maraguall ont déclenché le début du calvaire judiciaire du parti Convergencia et d’Artur Mas.
Un système tentaculaire
48 mois plus tard, la période de 2009 fut compliquée pour Artur Mas et Convergencia. La justice se penche cette année-là sur les opérations financières autour du Palau de la Musica. L’affaire des 3% prend une dimension tentaculaire avec des opérations frauduleuses similaires concernant les marchés publics dans une série de communes catalanes : Lloret de Mar, Figueres, Sant Celoni , Sant Cugat del Vallès, Olot et Sant Fruitós de Bages, toutes gouvernées par Convergencia.
L’affaire se solde pas de nombreuses peines de prison ferme pour les dirigeants de Convergencia et la saisie juridique de différents sièges du parti.
La confession de Jordi Pujol
Le président historique Jordi Pujol, qui a gouverné la Catalogne de 1980 à 2003 à et qui a fondé le parti Convergencia passe aux aveux. Dans ce qui est appelé « la confession de Jordi Pujol« , le 25 juillet 2014, l’ancien président reconnait que non seulement il n’ a pas déclaré toute sa fortune aux impôts pendant plus de 30 ans, mais qu’en plus il a placé son argent en Andorre, paradis fiscal. La somme frise les 600 millions d’euros. Même si le lien avec le réseau des 3% n’est pas prouvé, les récentes transactions sur les comptes bancaires pointés du doigt laissent planer le doute. Depuis, le patriarche a quitté la scène politique et a perdu officiellement tous les titres honorifiques qu’il possédait ainsi que sa retraite d’ancien président.
L’ex-président Jordi Pujol lors de sa comparution au parlement, après sa confession
L’affaire des 3% au port de Barcelone
L’affaire des 3% rebondit d’une manière spectaculaire le mois dernier avec un nouveau scandale concernant cette fois-ci le port de Barcelone, les chantiers de Glories et de l’avenue Parallel. Les faits se sont déroulés lors de la mandature de l’ancien maire de Barcelone, Xavier Trias lui aussi membre du parti Convergencia. Par ailleurs, un des bras-droit d’Artur Mas a été placé brièvement en détention. Andreu Viloca, ancien trésorier du parti, a aussi passé la nuit en prison, c’est sa quatrième garde à vue pour des affaires similaires. Le président du Port, ancien sénateur Convergencia et ami personnel d’Artur Mas, est également parti en garde à vue.
L’actuel procès
Le procès qui a débuté au début de la semaine a pour protagoniste principal Félix Millet, qui était directeur du Palau de la Musica à l’époque des faits. Celui-ci admet rapidement sa culpabilité. Il aurait passé un accord avec le parquet pour « balancer » les responsables politiques du dossier. De fait, il reconnait le système des 3%, avoue avoir utilisé l’argent des commissions, que lui aussi touchait, pour faire des travaux et des achats personnels. Felix Millet charge les hauts responsables de Convergencia, l’ancien trésorier et actuel député indépendantiste Germa Gordo. Felix Millet incrimine aussi directement Artur Mas alors secrétaire général de Convergencia.
Vient ensuite le tour de Jordi Montull à l’époque directeur administratif du Palau de la Musica. Il va encore plus loin que son ancien chef Felix Millet en déclarant cette phrase glaçante : « On ne parle pas de 3%, mais de 4% car Convergencia voulait encaisser encore plus d’argent ». Il détaille l’opération : « Sur chaque appel d’offres qui passait par le Palau de la Musica, Convergencia touchait une commission de 2,5%, moi 0,5% et Millet 0,5% ». Directement accusé de plein fouet, Artur Mas nie formellement toute malversation et accuse Millet et Montull de « menteurs » et affirme que « leurs déclarations sont des inventions ». L’opposition au parlement de Catalogne demande qu’Artur Mas vienne se justifier devant les députés. Une demande qu’Artur Mas a accepté affirmant qu’il n’avait rien à cacher. Une date devrait être fixée rapidement.
Les conséquences politiques
Le parti Convergencia a disparu en juillet dernier. Ou plutôt a changé de nom pour devenir le PDeCAT : Partit Demòcrata Europeu Català. Malgré une direction rajeunie et éloignée des scandales de corruption, le PDeCAT est l’héritier direct de Convergencia et est toujours présidé par Artur Mas. Le président de la Catalogne Carles Puigdemont est issu de PDeCAT, et est vierge de tout scandale de corruption. Il est à la tête du mouvement indépendantiste et le principal promoteur du référendum séparatiste, pour l’instant non autorisé par l’Espagne et qui doit avoir lieu avant septembre prochain au plus tard. Une situation compliquée et étouffante pour Carles Puigdemont qui tente de rester légitime pour garder la tête du processus indépendantiste malgré le procès du Palau de la Musica.
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Bien évidement, la ferveur indépendantiste ne va pas cesser en Catalogne avec cette affaire de corruption connue de tous et de longue date. Le désir indépendantiste d’une partie du peuple catalan est plus profond et plus complexe. Cependant le jeu politique pourrait se voir déstabilisé avec les luttes internes des différents courants indépendantistes. La menace d’une dissolution du parlement et la convocation d’élections régionales plane, rendant de fait impossible l’organisation du référendum. Et pour l’instant PDeCAT n’a pas de candidat pour d’éventuelles élections.