ANALYSE – Le pouvoir n’use que ceux qui ne l’ont pas. Cet adage s’applique particulièrement bien au parti de gauche radicale Podemos. Après avoir échoué à accéder au pouvoir au sein d’un gouvernement de gauche plurielle, le parti est en train d’exploser. Décryptage.
Podemos est né du mouvement citoyen des Indignés, apparu en 2011. Un groupe d’universitaires, Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero, Íñigo Errejón réussirent à capter la colère de la rue en fédérant les idées de gauche radicale, jusque là uniquement incarnées par le parti néo-communiste Izquierda Unida. Avec Podemos, le « Sí, se puede », version ibérique du « Yes, we can » d’Obama, allait envahir l’espace politico-médiatique.
Les trois dernières années furent le cadre d’une montée historique de Podemos dans les résultats électoraux. Le bipartisme PS-PP s’est vu bousculé aux européennes de 2014. Intelligemment, les dirigeants de Podemos ont su fédérer autour de la structure nationale des mouvement régionaux de gauche radicale et étendre les cercles du parti. Ainsi Podemos a remporté la mairie de Barcelone avec Ada Colau qui a su regrouper autour de sa candidature une bonne partie des groupuscules de gauche de la Catalogne. Même principe à Madrid où la capitale est tombée entre les mains de l’ancienne juge Manuela Carmena. Parallèlement, en s’alliant avec les socialistes localement, Podemos a réussi à empêcher la droite conservatrice de conserver le pouvoir dans de nombreuses autonomies espagnoles. La plus emblématique fut la région de Valence.
Succès électoraux, leaders charismatiques, sondages flatteurs, la droite et la gauche en crise, on ne voyait pas bien ce qui pouvait empêcher Podemos d’accéder au pouvoir lors des législatives de décembre 2015. Malgré des score en deçà des espérances, après ces législatives, une coalition de gauche avec le parti socialiste et Podemos était possible arithmétiquement. Elle était alors baptisée pudiquement « le gouvernement du changement ».
Une coalition vouée à l’échec
Les socialistes espagnols, de nature centristes, ont toutefois désavoué leur leader de l’époque, Pedro Sanchez, qui avait voulu tendre une main à Podemos. La vieille garde et les notables du PSOE ont encerclé le nouveau parti d’un cordon sanitaire. Ce dernier, par la voix de son bruyant porte-parole Pablo Iglesias, n’a pas arrondi les angles, multipliant les provocations face aux socialistes. Une absence d’accord qui a provoqué de nouvelles élections, avec une poussée de la droite qui a gardé le pouvoir grâce au soutien passif des socialistes.
Cet échec des négociations explique, en partie, la crise ouverte actuelle à Podemos. Le courant moins radical incarné par Íñigo Errejón a toujours vu d’un mauvais œil le comportement agressif du secrétaire général Pablo Iglesias avec les socialistes. A l’approche du congrès de Podemos où les militants voteront à partir de ce week-end pour se choisir un nouveau leader, le parti est sur le point d’exploser.
Une guerre sans merci
Comme tous les « vieux partis politiques » pointés du doigt par Podemos, les dirigeants du mouvement, privé de tout pouvoir au plan national, se livrent une guerre sans merci pour tenter de prendre le pouvoir interne dans le parti. Comme dans tous les partis classiques, les dirigeants en viennent à régler leurs comptes à chaque passage médiatique.
Alors que sur la radio Cadena Ser, Errejón devait commenter le départ de la numéro 3 du parti Carolina Bescansa, affligée par leur « confrontation », le parlementaire en a profité pour enfoncer son frère ennemi Pablo Iglesias : « nous devons réfléchir, arrêter de nous regarder le nombril, de pas nous enfermer dans le coin gauche de l’échiquier politique. Nous devons fuir le fait d’être un parti folklorique de protestation ». Errejón, en quelques mots bien choisis, dénonce ici tout ce que représenterait Pablo Iglesias : un parti peu sérieux, incantatoire, extrémiste.
Comme souvent dans le jeu politique espagnol, le débat autour de l’indépendance de la Catalogne avive les tensions. Le secteur catalan de Podemos, proche de la maire de Barcelone, penche ouvertement du côté de Pablo Iglesias, fervent défenseur du référendum indépendantiste en Catalogne, un sujet sur lequel Íñigo Errejón est beaucoup plus modéré. C’est aussi en raison de cette défense du référendum que le Parti Socialiste ne veut faire aucune alliance avec Podemos.
A peine plus de trois ans après la fondation du parti, les deux familles qui s’affrontent au sein de Podemos ressemblent à deux trains lancés à pleine vitesse qui n’ont plus d’autre option que d’entrer en collision.