Barcelone est devenue une destination très appréciée des touristes du monde entier. La capitale catalane accueille chaque année des millions de visiteurs. Mais les habitants se disent lassés et excédés de ce tourisme de masse. Des réactions que certains associent à la tourismophobie. Reportage.
Photos: L.S/Equinox
“Touriste respecte ou meurs”, “ton tourisme tue mon voisinage” ou “touriste va t’en”, telles sont les phrases que l’on peut lire sur les sols des rues barcelonaises depuis quelques semaines. Des messages qui montrent le revers de la médaille. La capitale catalane est devenue en l’espace de quelques années une destination phare pour les vacances. Les touristes du monde entier sont de plus en plus nombreux à s’y presser. Selon la mairie, la ville accueille environ 17 millions de visiteurs par an. Elle a même battu un record lors de l’été 2016. Au total, 1,7 millions de touristes ont séjourné dans les hôtels de Barcelone entre juillet et août. Ce qui représente une augmentation de 5% cette saison. Climat favorable, prix plutôt attractifs, fête, mer et culture, Barcelone réunit tous les atouts pour attirer les vacanciers venant de tout horizon.
Pour certains Barcelonais, ce tourisme de masse n’est pas sans conséquences. Ils n’hésitent plus à montrer leur ras-de-bol envers les débordements engendrés par les visiteurs. Le quartier de la Barceloneta est devenu un véritable symbole de cette lutte contre la massification du tourisme. En août 2014, plusieurs habitants du quartier ont lancé le collectif La Barceloneta diu prou pour montrer leur mécontentement. Deux problèmes sont pointés du doigt : l’incivisme et les logements. Sebastian, porte-parole du mouvement, explique que la présence des touristes a provoqué une flambée des loyers: “Pour un appartement sur la place del Poeta Boscà nous sommes passés de 400 euros à 900 euros mensuels en quelques années (…). Nous sommes obligés de partir de notre quartier pour laisser la place aux touristes. Les propriétaires n’hésitent plus à mettre les gens dehors pour faire des locations saisonnières (…). Des personnes âgées se retrouvent à la rue”.
En plus des loyers inaccessibles, les habitants du quartier reprochent le manque de logements destinés aux Barcelonais. Dans cette zone “84% sont pour les touristes et 16% pour les locaux. (…) Les agences immobilières poussent comme des champignons, c’est qu’il y a de l’argent à se faire”. Dans le centre-ville de Barcelone, de nombreux appartements touristiques sont illégaux, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas la licence touristique. Des plateformes sur le web, comme Airbnb ou Homeaway, abritent des milliers d’annonces de ce type, ce qui rend le nombre de logements incontrôlable.
“Nous ne voulons pas devenir Venise ou Ibiza”
Sa proximité avec la plage a fait de la Barceloneta l’une des zones de prédilection des visiteurs. Au fil des années le quartier est devenu saturé, avec des personnes qui vont et viennent à toute heure du jour et de la nuit. “Il y a des personnes ivres qui sonnent chez nous au beau milieu de la nuit, qui hurlent, ce n’est plus vivable” affirme Susanna, membre de La Barceloneta diu prou. Elle ajoute que “le tourisme génère seulement 12% du PIB en Catalogne ce n’est pas énorme. On ne vit pas que du tourisme”. Il y a quelques semaines, le mouvement a voulu frapper fort en posant une affiche place del Poeta Boscà sur laquelle on peut lire “les touristes restent à l’hôtel, les appartements sont pour les habitants”. Le mouvement souhaiterait dans l’idéal une interdiction totale des appartements touristiques. Sebastian précise “Nous ne sommes pas contre les touristes, nous même nous sommes aussi des touristes dans certaines villes. Mais on souhaiterait plus de respect (…). On a perdu notre authenticité, notre vie de quartier. J’ai 60 ans, j’ai vécu toute ma vie ici, j’ai payé mes impôts, pour au final ce résultat”.
Un autre mouvement se positionne contre le tourisme de masse depuis quelques années : Don’t be a tourist, à travers un groupe Facebook et un Tumblr. Le responsable nous explique qu’à l’origine “les revendications étaient très puériles. Nous voulions que les touristes arrêtent de se comporter comme des touristes. Au fil des années, nous nous sommes rendus compte du fléau pour les citoyens”. Il précise que désormais dans les zones où sont présents les touristes “il est devenu quasiment impossible d’y vivre”. La rébellion des habitants est “merveilleuse” pour Don’t be a tourist. Ce que souhaite le porte-parole, c’est une véritable prise de conscience. “Il y a quelques jours, nous avons publié une photo d’un type avec une tête idiote en train de pisser en plein dans la lumière du jour, sans tee-shirt, au milieu de la rue. Les locaux en ont marre (…). Les gens qui viennent à Barcelone pensent que tout va bien, tout est fantastique et que nous vivons dans une fête permanente. Un guide touristique qui passe occasionnellement sous ton balcon ça ne dérange pas. 30 guides par jour avec un haut-parleur génère de la haine”.
Le choc d’une rencontre culturelle
Justement ce ras-de-bol, cette haine pour certains correspond-elle à de la tourismophobie ? Maribel Blázquez Rodríguez est docteur en anthropologie sociale à l’université Complutense de Madrid. Elle est spécialisée dans l’anthropologie du tourisme. Selon elle “la tourismophobie est un terme qui est apparu au cours de ces derniers mois dans la communication sociale. Elle fait référence aux réactions de rejet des résidents devant le tourisme. Comme le souligne le professeur d’anthropologie sociale de l’université de La Laguna (Tenerife), Agustín Santana Talavera, il faut prendre en compte que le tourisme est une relation de rencontre culturelle qui peut produire des chocs entre la population résidente et les touristes”. Elle ajoute qu’avec la “démocratisation du tourisme (…) nous arrivons dans des lieux étrangers où nos comportements habituels ne sont pas compris et génèrent de l’apathie, par exemple manger à des heures déterminées, être un groupe qui parle et boit dans les rues la nuit. Si cette rencontre culturelle n’est pas gérée et se marginalise, cela peut créer un environnement qui n’est pas amical”.
Esteban, habite à une dizaine de kilomètres de Barcelone. Il évite le plus possible la capitale catalane car “Barcelone n’est pas la Catalogne, comme New-York n’est pas les États-Unis (…) Quand je vais en Autriche, je veux voir des choses autrichiennes et non anglaises ou sénégalaises”. L’homme affirme être contre les visiteurs étrangers. Pour lui, les conséquences négatives de la massification du tourisme sont nombreuses “les déchets, la destruction du paysage et l’épuisement des cours d’eau”. Mais il regrette surtout la Barcelone d’une autre époque : “Avant les gens se saluaient sur la Rambla (…) maintenant Barcelone est devenue une marque, un parc d’attractions, les gens n’ont plus aucun intérêt culturel (…). Il est impossible de nier que le tourisme a détruit l’authenticité et la personnalité des lieux. Plus il y a de touristes plus la qualité de vie baisse”. Selon lui, on ne peut pas vraiment parler de tourismophobie car “beaucoup de gens ne se sentent pas concernés”.
L’anthropologue Maribel Blázquez Rodríguez alerte des conséquences de la tourismophobie. Ce type de réaction “peut conduire (…) à une irritation des résidents, qui voient les visiteurs comme la cause de tous leurs problèmes, et surtout à une détérioration de la réputation du lieu”.
Une Barcelone accueillante
À l’heure actuelle à Barcelone, les touristes n’ont pas l’air de ressentir un rejet de la part des habitants. Valeria et Elisabetta ont 21 et 23 ans. Elles sont italiennes et passent quelques jours de vacances dans la capitale catalane. Pour elles “il y a un très bon accueil des locaux, vraiment nous n’avons rien à reprocher”. Un avis partagé par Nicolas, 35 ans, lui aussi de passage : “on se sent vraiment bien accueillis, les Barcelonais font des efforts pour nous parler. Cela n’a rien à voir avec Paris par exemple, on ressent une grande différence avec les Français”. Toutefois, certains nuancent cette opinion. Pour Virginie et Marine, originaires de Bordeaux “l’accueil est bien mais pas fabuleux non plus”.
Difficile de contenter tout le monde à Barcelone. La mairie est très sollicitée de la part des habitants qui attendent un véritable changement. Ainsi, elle a fait de la lutte contre les appartements touristiques l’une de ses priorités. Elle vient de mettre en place une série de mesures, comme un site pour dénoncer les appartements près de chez soi et une augmentation des inspections et des contrôles. “Notre objectif est d’arrêter l’inégalité” explique Agustí Colom, conseiller municipal au tourisme et à l’entreprise. “Il y a environ 1.000 appartements légaux et plus de 6.000 qui ne le sont pas”. Il ajoute qu’il y a “une corrélation entre ces appartements illégaux et l’incivisme, car les touristes sont souvent nombreux dans ce type de logement et même s’ils se comportent bien, la quantité de personnes engendre plus de problèmes pour les voisins”.
Toutefois pour le conseiller, afficher son mécontentement via des affiches reste un fait “très préoccupant, car cela signifie que les Barcelonais ont une perception très négative du tourisme (…) en baissant le nombre d’appartements on agit pour que ça ne se reproduise plus et pour réduire ces pressions”. Le tourisme ne doit pas être vu comme une bête noire. Il ajoute que son but est de faire la “promotion d’un certain type de tourisme (…) avec plus de civisme (…) le tourisme est très positif pour l’économie et l’emploi, le but est de maintenir ces aspects positifs et de minimiser les conséquences négatives”.
Certains habitants se montrent plus défaitistes pour le futur. Pour La Barceloneta diu prou “Barcelone est en train de mourir de succès, il faudrait une vraie volonté de la part de la mairie et du gouvernement pour changer les choses”. Pour Esteban, “nous sommes face à un problème qui n’a pas de solution”.