Thomas Aussenac est bien connu des auditeurs les plus fidèles d’Equinox Radio puisqu’il a participé à la mémorable émission d’inauguration de la radio le 31 mars 2011, avec un petit live en direct. Nous évoquons avec lui les réalités de la vie d’un artiste aujourd’hui à Barcelone, les plateformes de streaming et l’importance accordée à la culture en Espagne. Interview.
Photo Bernat Mestres
Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, quel a été ton parcours artistique?
J’ai appris la musique vers 15 ans d’abord le piano en prenant des cours, puis la guitare et le chant tout seul. Puis pendant mes années fac, j’ai joué, grâce à un ami à qui je dois beaucoup, Olivier Mateis, des chansons populaires en guitare-voix dans des bars. Nous avons fait pas mal de concerts et ce fut une expérience très enrichissante.
Les textes de ton dernier album paraissent plus graves, plus profonds, est-ce l’album de la maturité ?
Je ne sais pas si mes textes sont plus profonds mais je pense qu’ils sont plus sincères que sur le disque précédent. Pour moi, l’objectif le plus important dans la création consiste à être le plus sincère et authentique possible vis-à-vis de soi-même, de ce qu’on est, ce qu’on ressent et ce qu’on a à dire : trouver son propre langage, son propre style en somme. Ça peut paraître simple ce que je dis mais c’est très difficile d’être soi-même quand on essaie de créer !
Quand je réécoute mes disques, ce qui m’arrive très peu d’ailleurs, certaines choses m’agacent car j’entends des poses, des attitudes forcées, mais certaines chansons, et plus sur ce dernier disque que sur le premier font toujours profondément écho en moi et ça c’est pour moi très encourageant ; ça donne du sens à tout ce travail et ça donne la force et l’envie de continuer. Donc oui, pour résumer, ce disque est sûrement plus mature que le précédent au niveau des textes et aussi au niveau de la production. Est-ce celui de la maturité ? Je ne sais pas, j’espère faire mieux sur le prochain et ainsi de suite.
Tes chansons sont en français, quelques-unes en anglais, à quand l’espagnol et le catalan ?
Bientôt ! Il devrait y avoir au moins une chanson en espagnol sur le prochain disque, peut-être deux. J’écoute depuis un an beaucoup de musique latine comme par exemple Cesária Évora, ce qui est nouveau pour moi, et je me laisser de plus en plus charmer par les rythmes et les mélodies d’Amérique Latine. Je trouve qu’il y a une liberté incroyable dans ces musiques.
Pour le catalan, c’est une langue que j’ai apprise et que je parle mais je n’ai pas trouvé encore le besoin de la mettre en musique. Peut-être un jour… Par ailleurs, j’ai aussi écrit quelques chansons uniquement en anglais, ce que je n’avais pas fait depuis 7 ou 8 ans. Le prochain disque sera donc multilingue.
L’expatriation est-elle une source d’inspiration ?
Les expériences de la vie sont toujours une source d’inspiration, surement la principale source d’inspiration en fait. J’écoutais beaucoup de chansons en français quand j’étais petit, Alain Souchon, Serge Gainsbourg notamment, ensuite à l’adolescence j’ai surtout écouté du rock, et vivre loin de mon pays m’a fait paradoxalement reconnecter avec l’univers de la chanson française, qui est vraiment un trésor national je trouve. En fait, je ne sais pas si j’aurais jamais écrit en français si je n’avais pas habité à l’étranger.
Tu viens d’être Papa, la paternité change-t-elle la vision de l’artiste ?
Bien sûr, ça change tout, tout est différent, on voit la vie autrement… J’ai écrit quelques chansons depuis la naissance de mon fils et elles ont une tonalité forcément particulière…
Tes albums sont disponibles sur Deezer, Spotify, que penses-tu de ces plateformes en général ?
D’un point de vue de musicien, l’avantage c’est qu’on a une plateforme centralisée qui permet de diffuser sa musique au monde entier, ce qui est plutôt très bien ; l’inconvénient c’est que les rétributions sont extrêmement faibles. Je comprends tout à fait que les musiciens demandent à être mieux rétribués par ces plateformes, car les sommes sont tellement ridicules que ça en devient insultant.
Par contre, sur le modèle général, je crois qu’il va falloir que les artistes s’y fassent : l’argent ne vient plus de la vente de disques ou de chansons mais des concerts. C’est pour cela que les prix des concerts ont logiquement doublé ou plus depuis 15 ans.
J’en profite pour dire que j’entends souvent des gens se plaindre de cette hausse mais ces mêmes gens oublient qu’ils n’ont pas acheté un CD depuis 10 ans alors qu’avant cela, consommer de la musique était un vrai budget, largement supérieur aux abonnements à Spotify ou Deezer. Une chose regrettable par contre, c’est que ce nouveau modèle pénalise les musiciens qui n’aiment pas la scène ou qui ne sont moins doués pour cela, or on peut tout à fait être un grand musicien uniquement de studio.
D’un point de vue de mélomane, je ne vois que des avantages : j’écoute énormément de musique et beaucoup de nouvelle musique, je suis donc ravi d’avoir accès à un tel catalogue avec une telle facilité et je trouve les prix des abonnements extrêmement raisonnables. Je me rappelle encore quand je réservais un CD à la médiathèque et que je l’attendais parfois pendant trois semaines pour pouvoir l’écouter ! Tout ça parait surréaliste aujourd’hui et pourtant je parle d’il y a 15 ans seulement. Bien sûr, il y a toujours les nostalgiques du support physique, de la pochette, qui sont déçus. Pour ma part, je vis très bien le fait de ne plus m’encombrer de tout ça. Pour moi l’essentiel c’est le contenu et donc la musique.
On dit que Barcelone est une ville ouverte, créative, avant-gardiste. Est-ce plus facile ici qu’ailleurs pour un artiste ?
Barcelone est une ville très ouverte c’est certain, c’est même je crois l’adjectif qui lui sied le mieux, créative bien sûr, avant-gardiste oui, même si pas autant à mon avis, que d’autres capitales européennes. Est-ce plus facile ici qu’ailleurs pour un artiste ? Bonne question. Quand on vient comme moi de l’eldorado artistique qu’est la France avec le système de l’intermittence, des subventions, des résidences artistiques, etc, on est évidemment un peu déçu en arrivant ici par la place moindre accordée à la culture dans les budgets de la ville ou de la région. Personnellement, je ne suis pas a priori contre un système avec moins d’aides à la culture, mais il faudrait alors que les cachets soient beaucoup plus élevés qu’en France, or ils sont plus faibles ! C’est donc économiquement très difficile de vivre d’une activité artistique ici et la crise économique qui frappe le pays n’a évidemment rien arrangé.
Après, il faut bien garder en tête que la France est une exception culturelle, et que Barcelone reste une ville d’Europe les plus tournées vers la culture. Il y a ici une qualité de vie, une ambiance et une solidarité incroyables, qui font que c’est un endroit extrêmement agréable pour vivre et pour créer . Aussi, je trouve que le public à Barcelone est très bienveillant et enthousiaste. C’est très encourageant, surtout quand on débute. Ici les gens sont toujours très positifs, ils mettent toujours en avant les qualités d’un concert et ne se focalisent par sur les petits défauts. En France il y a souvent beaucoup d’exigence ; ça permet de maintenir un excellent niveau mais ça peut parfois être dur et pas toujours constructif. Mais c’est mon ressenti, rien de plus.
Quels sont tes projets ?
Depuis un et demi, j’ai pris une pause car ça faisait pas mal d’années que j’enchaînais les projets musicaux et c’est bien de temps en temps de s’arrêter et de prendre un peu de recul. Durant cette période, qui n’est pas terminée, j’ai écrit de quoi remplir un disque de plus de 10 morceaux pour une fois ! Mais il reste encore beaucoup de travail de finition, surtout concernant les textes. Quand tout ça sera terminé, je pense enregistrer directement et peut-être faire quelques vidéos live car c’est une expérience que j’ai beaucoup aimé faire. J’ai malheureusement très peu de temps pour tout ça et les concerts ne sont donc pas pour le moment ma priorité.
Pourrais-tu nous donner ta playlist idéale ?
Difficile de choisir entre les centaines de morceaux et artistes que j’adore. J’ai essayé de représenter le plus possible les artistes qui sont des références pour moi, et parfois ce sont simplement des chansons qui m’ont touché, bouleversé ou simplement accompagné à un moment important de ma vie.
- The Beatles – “While My Guitar Gently Weeps”, “Happiness Is A Warm Gun”, “Come Together”, “Hey Jude”, “Yesterday”, “Eleanor Rigby”, “A Day In The Life” et 90% de leur chansons.
- Radiohead – “Videotape”
- Georges Brassens – “L’orage”
- Alain Souchon – “La vie ne vaut rien”
- Noir Désir – “Le vent nous portera”
- Bob Dylan – “I Want You”
- Dominique A – “Les enfants du Pirée”
- Pixies – “Hey”
- Tom Waits – “All The World Is Green”
- Serge Gainsbourg – “La Javanaise”
- Neil Young – “Heart Of Gold”
- Alain Bashung – “La nuit je mens”
- J.S. Bach – “Prelude No. 2 en Do mineur, BWV 847” (par Glenn Gould)
- The Doors – “Break On Through (To The Other Side)”
- Keith Jarrett – “The Köln Concert – Part I”
- Nina Simone – “My Baby Just Cares For Me”
- Johnny Cash – “Hurt”
- Lou Reed – “Walk On The Wild Side”
- Pink Floyd – “Echoes”
- Bertrand Betsch – “Les rendez-vous manqués”
- Alela Diane – “The Rifle”
- Cesária Évora – “Sodade”
- Manu Chao – “Me Llaman Calle”
- Aphex Twin – “April 14th”
- Grant Lee Buffalo – “Fuzzy”
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