La réputation du lycée français de Barcelone n’est plus à faire. Les parents souhaitant y inscrire leurs enfants se font de plus en plus nombreux, créant une liste d’attente interminable et suscitant incompréhension et mécontentement.
Photo: CD/Equinox
Le mois de septembre rime avec rentrée des classes. À Barcelone, pour une scolarité en français, il existe le lycée français. Situé au coeur de Pedralbes depuis 1965, cet établissement permet aux enfants d’expatriés de suivre des cours en français, depuis la petite section de maternelle jusqu’en terminale. Il dépend de “l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (A.E.F.E.) qui assure le service public d’éducation pour les enfants français, contribue au rayonnement de la langue et de la culture françaises par l’accueil d’élèves étrangers” peut-on lire sur le site.
Depuis quelques années, le lycée doit faire face à une importante hausse de demandes d’inscription pour tous les niveaux. Selon un membre de l’établissement: ” il y a eu 700 demandes de première inscription cette année, nous avons pu en satisfaire 400 (…) on ne peut pas plus, le lycée est plein à craquer, il y a déjà des classes de plus de 30 élèves à certains niveaux (…) La situation est très tendue. » Céline Marin, la responsable des inscriptions, nous explique qu’en quatre ans les demandes d’inscription ont doublé. “En cinq ans, on a accueilli 200 élèves supplémentaires, plusieurs classes ont été créées, on est au maximum, on ne peut pas pousser les murs” poursuit-elle.
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Pourquoi une telle hausse? Parce que Barcelone séduit. Plusieurs membres de l’établissement s’accordent sur les mêmes arguments: “la crise est finie, de plus en plus de Français viennent s’installer ici. C’est une destination à la mode. Ça fait rêver de vivre avec sa famille au soleil et de travailler en faisant des allers retours en France”. Il y aurait également plus de Français qui s’installent que de Français qui partent. D’autres établissements français sont dans le même cas, comme l’école française Ferdinand de Lesseps ou le Lycée français de Gavà.
« Je ne pensais pas qu’un enfant pouvait être refusé »
Face à la demande, les élèves sont classés sur une liste d’attente au lycée français de Barcelone, par ordre de priorité, en attendant qu’une place se libère. Pour certains parents c’est l’incompréhension. “En fait, au départ, il nous paraissait évident que la petite serait à l’école française, je n’envisageais pas qu’il puisse en être autrement. Nous avons déposé le dossier dans les temps (début janvier) et étant Français, je pensais qu’ils ne pouvaient pas la refuser (…). Ils n’ont même pas voulu me dire son rang sur la liste d’attente, alors que je l’ai explicitement demandé, justement pour savoir si ça valait le coup d’attendre ou non” nous raconte Catherine. Cette maman a finalement opté pour une école catalane.
Mais pour Jean, récemment expatrié à Barcelone, il était impensable que son fils adolescent soit scolarisé dans une école catalane “à cet âge-là, sans bien maîtriser la langue du pays, c’est très compliqué”. Le père de famille pensait qu’un enfant de parents expatriés français avait forcément une place dans l’établissement. S’en est alors suivi un véritable parcours du combattant. “Nous avons commencé les démarches en juillet 2016 pour une inscription pour la rentrée scolaire 2017. Nous n’étions pas encore installés à Barcelone et on nous a dit que ce n’était pas la peine d’essayer qu’il n’y avait pas de place, donc mon fils était sur liste d’attente » nous explique-t-il.
Il décide alors d’appeler et d’envoyer des mails au lycée deux à trois fois par semaine pendant des mois, ”j’ai durci le ton, je suis même allé en personne au lycée”. Peu à peu le discours change, son interlocuteur affirme « chercher une solution » et que « des places peuvent se libérer en septembre ». L’enfant finit par obtenir une place à la rentrée. “Moi ce qui me choque c’est le manque d’empathie, l’établissement voit le côté logistique, alors qu’en tant que parent c’est l’humain qui compte, j’étais vraiment inquiet que mon fils ne puisse pas suivre une scolarité en français” regrette Jean. Il soupçonne que seuls les meilleurs dossiers sont pris pour conserver le prestige de l’école ou que d’autres payent plus “mais ce ne sont que des suppositions” conclut-il.
Des enfants prioritaires
Mais le système des priorités, que dénonce certains parents, n’est pas aussi simple à comprendre. Le lycée opte pour la transparence avec un descriptif détaillé en ligne. Céline Marin explique que les Français sont prioritaires. Mais en petite section, ce sont les fratries, c’est-à-dire que ceux qui ont déjà des frères et soeurs dans l’établissement. Dans ce cas, un étranger sera prioritaire sur un Français.
La situation des parents influence également. Les enfants de parents mutés seront prioritaires. Ils devront justifier avec un document de l’entreprise attestant de la mutation. En seconde position, ce sont les enfants de parents qui créent leur entreprise à Barcelone, puis ceux dont les parents s’installent dans la capitale catalane par choix personnel. Un autre point a son effet sur le classement de l’enfant: la date d’envoi. « Les personnes qui ont le plus de chances sont celles qui envoient leur dossier dès l’ouverture des inscriptions la première semaine de décembre » nous explique la responsable, « il faut se donner les moyens (…) j’informe toujours les parents de la probabilité en donnant la place sur la liste d’attente, à Lesseps ils ne le font pas ».
Concrètement, il y a deux commissions. Une première au mois de mars et une seconde en juin. “Au vu de tous les critères, on étudie vraiment au cas par cas, une commission dure quatre heures” nous confie-t-elle. Selon un autre membre de l’établissement “il n’y a pas de passe-droit, mais les parents qui insistent, ça marche”.
Le nombre de places dépend des départs, mais aussi des différentiels entre les classes. “Par exemple, il y a 145 places en moyenne section et 150 en grande section, donc ça laisse la place pour cinq nouveaux. Et en septembre, certaines places se libèrent car des familles ne prennent pas la peine de prévenir qu’elles ne sont pas là, donc on attend que les élèves ne se présentent pas physiquement le jour de la rentrée” conclut-elle.
Un manque d’établissements?
Si autant d’enfants se retrouvent sur liste d’attente, c’est parce que l’établissement n’a pas la capacité de les accueillir, tout simplement. On suppose que la tendance pourrait continuer à la hausse dans les prochaines années. “Le lycée fait ce qu’il peut mais il manque des écoles bilingues à Barcelone comme il en existe à Madrid pour satisfaire tout le monde” selon un professeur. Erwan, enseignant dans l’établissement depuis quelques années, nous explique “on cherche des solutions, chaque année il y a des ouvertures de classe (…) mais la baisse de 60 millions d’euros du budget de l’AEFE a forcément une répercussion sur les établissements scolaires”.
Concrètement, cet argent a été retiré du programme « Diplomatie culturelle et d’influence », qui correspond à une partie de la subvention versée à l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (A.E.F.E.). Le décret de cette coupe budgétaire a été révélé en juillet dernier. Plusieurs personnes s’accordent à dire que si l’AEFE ne débloque pas de fond, l’avenir sera compliqué et les projets d’agrandissement n’ont pas l’air d’être au programme. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’AEFE n’a pas répondu à nos questions.
Au service d’inscription du lycée, on nous glisse “on aimerait avoir moins du succès, au moins tout le monde serait content”.